COMPTE-RENDU – Laurent Pelly poursuit une redécouverte dépoussiérée d’Offenbach entreprise avec Orphée aux Enfers (1997) et rendue possible par plusieurs directeurs successifs de l’Opéra national de Lyon confiant au duo de choc qu’il forme avec la dramaturge Agathe Mélinand La Vie parisienne (2007) ou encore Le Roi Carotte (2015). 2024 célèbre le retour de Barbe-Bleue :
Rire du mâle
Dans cet opéra bouffe en trois actes, aucune adaptation littérale sur la scène lyrique du conte bien connu de Charles Perrault. Rien à voir avec l’opéra en un acte (1918) de Béla Bartók ou l’Ariane et Barbe-Bleue (1907) de Paul Dukas. À première vue, de la bonne gaudriole à la française créée au Théâtre des Variétés, sur les Grands Boulevards, sous le Second Empire, en 1866. Comme l’humour a chez Offenbach des tenants et aboutissants plus graves qu’il n’y paraît, le sujet et ses ambiguïtés ne pouvaient mieux convenir à cet immigré de Cologne qui faisait se déplacer le Tout-Paris, mais aussi un public international huppé, par sa musique qu’on n’aurait rêvée plus française. Pas de campagne me too, ici : il s’agit de rire de tout, même de la mort, de l’asservissement des femmes par les hommes, des fermières par les princes.
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Du grand Mélinand
L’adaptation des dialogues rappelle qu’Agathe Mélinand parle l’Offenbach depuis des années avec verve, intelligence et amour de son sujet : son essai publié dans le programme est un hymne à un Paris dont la dramaturge entend bien entretenir la flamme. Peu de réécriture du livret, les allusions s’échafaudent d’elles-mêmes dans l’esprit du public, tant Christophe Mortagne, pour ne citer que lui, évoque sous les traits du roi Bobèche, dictateur sanguinaire d’opérette, certaines figures du paysage politique. Sa Vie Parisienne avait courroucé des spécialistes d’Offenbach ainsi qu’une frange du public, soucieuse de fidélité au texte et à l’esprit de l’opérette. Le goût de la méchanceté et de la causticité avoué alors par le tandem Pelly-Mélinand est aujourd’hui intact, depuis le défilé des courtisans aux pieds du roi jusqu’à l’exagération du dialecte paysan.
Déguisements de l’opéra
Jérémy Duffau (Prince Saphir) et Jennifer Courcier (Fleurette) endossent des rôles de composition en adéquation avec l’allusion au genre pastoral du début de la soirée, où les décors de Chantal Thomas jouent avec le décalage d’une contextualisation dans l’univers contemporain. La mezzo-soprano Héloïse Mas, forte de son rembourrage bustier (« C’est un Rubens ! » s’exclame Barbe-Bleue), se prête à merveille au jeu de la parodie des codes vocaux de l’opéra et de l’opéra-comique. Julie Pasturaud (La Reine Clémentine) rejoint ce concours des mezzos et des clichés lyriques avec toute la grandiloquence outrancière requise. Si Florian Laconi (le Brésilien de La Vie Parisienne il y a une quinze d’années) peut sembler manquer de finesse dans l’expression vocale du rôle-titre, il n’en remplit pas moins avec brio la fonction qui lui est assignée de ténor esclave de ses pulsions, tyrannique et imbu de lui-même. Guillaume Andrieux, baryton grimé en savant fou de film expressionniste allemand, campe un Alchimiste Popolani à la diction et à la projection modèles. Le baryton-basse Thibault de Damas (le Comte Oscar) complète cette distribution vocale plus que satisfaisante. Précise, la direction musicale de James Hendry, confère panache et énergie à un effectif orchestral de format très classique (allez donc faire entrer l’orchestre de Carmen dans la fosse des Variétés…), marque de fabrique de notre « petit Mozart des Champs-Élysées » (comme le surnommait Rossini).
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