DISQUE – Pour son premier enregistrement chez le label Pentatone, le ténor américain Nathan Granner explore le répertoire classique entre tubes et raretés, en mettant l’accent sur les sentiments de ses personnages. Un voyage intimiste et réconfortant, qui ne manque pas pour autant de beau chant.
Sentiments sans théâtre
Ténor belcantiste et familier de l’opéra contemporain, c’est pourtant au répertoire classique que Nathan Granner consacre son album Ombre di luce. Un choix surprenant pour ce premier récital chez le label Pentatone : là où l’on aurait pu s’attendre, comme chez nombre de ses collègues, à une anthologie des Rodolfo, Nemorino, Alfredo et autres archétypes lyriques, Nathan Granner s’intéresse moins à la démonstration de ses moyens vocaux qu’à l’expression intimiste des sentiments.
Qu’on ne s’y trompe pas : le répertoire du XVIIIème siècle, et notamment pour ténor, n’a rien à envier en termes de difficulté aux répertoires plus tardifs ! Mais le programme d’Ombre di luce sort des sentiers battus parce qu’il fait cohabiter airs très connus et raretés – puisées chez Paër, Salieri et Bologne –, et parce qu’il supprime la plupart des récitatifs (gardant uniquement les récitatifs accompagnés). D’emblée, ce choix enlève une part de théâtre à la partition et nous plonge directement dans les affects des personnages, en en effaçant le contexte dramatique. Plus encore, des airs comme « Ah, lo veggio » de Mozart ou « Depuis longtemps » de Joseph Bologne sont abordés sous l’angle de la confidence, voire de la romance : c’est bien l’expression de soi qui prime, dénuée de grands effets théâtraux, pour le seul plaisir de l’épanchement.
(Dé)raison et sentiments
Mais le réconfort est aussi du côté de l’auditeur : il y a sans doute quelque chose de l’ordre de la consolation lorsqu’on entend les sentiments des autres, et une sensation rassurante de familiarité à l’écoute des airs bien connus du répertoire (d’« Il mio tesoro » à « J’ai perdu mon Eurydice »). Mais il y a surtout cette voix lumineuse, flexible, expressive de Nathan Granner : on retrouve évidemment des airs virtuoses et qui sollicitent les extrêmes de la tessiture (comme le redoutable rôle de Mitridate), mais le ténor n’est jamais dans la virtuosité gratuite. Son choix d’une version moins connue et moins démonstrative de « Fuor del mar » et la simplicité des cadences le prouvent.
En revanche, le ténor n’est pas avare de couleurs, de douceur, ni d’un phrasé d’une élégance absolue. Il suffit pour s’en convaincre d’écouter l’air de concert de Mozart « Misero ! O sogno, o son desto ? » qui clôt l’album : tout y est, de la beauté du timbre à l’expressivité, en passant par la maîtrise technique et le raffinement du texte. Tout dans cet enregistrement respire l’expression et l’humanité.
« Laissez-vous toucher par mes pleurs »
L’Orchestre Philharmonique de Marseille, placé sous la direction de Clelia Cafiero, se fond dans cette esthétique très intimiste avec une légèreté, une lisibilité des voix, mais aussi avec un certain détachement. Les pages plus sombres perdent donc beaucoup en intensité dramatique, mais le « Torna la pace al core » d’Idoménée ou le « Quel nouveau ciel pare ces lieux » d’Orphée et Eurydice sont de très beaux moments lyriques, planants, qui mettent en valeur des pupitres de vents particulièrement chantants. Notre seule réserve sera peut-être pour un « J’ai perdu mon Eurydice » presque dansant, qui s’éloigne trop de la situation dramatique du livret pour totalement convaincre.
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Voilà donc un très beau récital discographique pour Nathan Granner, qui trouve dans ce répertoire du XVIIIème siècle à exprimer ses nombreuses qualités, et qui montre aussi une audace dans ses choix de pièces. Un album réconfortant, plein de sentiment, à faire comme Orphée pleurer les cœurs de pierre.
Pourquoi on aime ?
- Pour la leçon de chant mozartien
- Pour les grands sentiments
- Pour l’aller-simple vers le siècle des Lumières
C’est pour qui ?
- Recommandé pour tous les cas de déprime
- Recommandé pour les amoureux des voix de ténor