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Malandain, danser pour la vie – partie 3 : « je me prépare à arrêter »

ENTRETIEN –  Triste nouvelle pour les amateurs de danse : Thierry Malandain, créateur prolifique de plus de 80 ballets a annoncé qu’il quitterait ses fonctions de directeur du CCN Malandain Ballet Biarritz à la fin de l’année 2026. Pendant une heure, l’un des chorégraphes français les plus connus à l’international a retracé son parcours avec nous. Ses plus beaux souvenirs en tant qu’interprète et chorégraphe et son implication dans le Festival Le temps d’aimer. 

Retrouvez pour commencer les deux premières parties de cet entretien : 1- l’enfance de l’art et 2- le Temps d’Aimer

Troisième partie : « je me prépare à arrêter »

Pouvez-vous nous expliquer l’articulation et l’historique entre CCN et Compagnie (comment ça fonctionne concrètement, entre « le Centre Chorégraphique National Malandain Ballet Biarritz » et « la compagnie du Malandain Ballet Biarritz »)

L’articulation entre le Centre Chorégraphique National (CCN) et la compagnie Malandain Ballet Biarritz est en réalité très simple : il s’agit de la même entité. À l’origine, l’institution était officiellement nommée « CCN de Nouvelle-Aquitaine en Pyrénées-Atlantiques ». Cependant, le conseil d’administration a estimé qu’il était regrettable de ne pas inclure mon nom dans l’intitulé, étant donné mon rôle central dans la création et la direction artistique de la compagnie. C’est ainsi que la décision a été prise de renommer l’institution « Malandain Ballet Biarritz ». Mais ce changement n’était pas une initiative personnelle de ma part. Malgré ce changement de nom, la structure et le fonctionnement sont restés les mêmes. Que l’on parle du CCN ou de la compagnie Malandain Ballet Biarritz, il s’agit de la même entité, avec les mêmes danseurs et la même organisation.

Comment recrutez-vous les danseurs ?

Au début de la compagnie, le recrutement se faisait principalement parmi mes amis. Aujourd’hui, la sélection des danseurs se base sur leurs qualités techniques et leur personnalité. La danse classique reste le fondement de la compagnie. Ils sont choisis aussi sur leur rapidité à apprendre des extraits de mes chorégraphies et à se glisser dans le style. Je recrute souvent des danseurs jeunes, âgés de 18 à 20 ans, bien qu’il nous arrive d’engager des danseurs plus expérimentés. Chaque recrutement est traité au cas par cas.

Thierry Malandain © Johan Morin & Yocom

Pour ce qui est du processus de recrutement, il a évolué. Nous avons abandonné les auditions publiques pour éviter de faire déplacer inutilement des danseurs. Désormais, les candidats envoient d’abord des vidéos. Si celles-ci sont convaincantes, ils sont invités à prendre une classe. En cas de doute, nous les faisons revenir une seconde fois, en prenant en charge leurs frais de déplacement et d’hébergement. La compagnie compte actuellement 22 danseurs, un nombre qui a progressivement augmenté depuis notre arrivée à 12 en 1998. Bien que j’aimerais en recruter plus, ce n’est pas possible financièrement. 

L’élément souvent rédhibitoire pour les danseurs est le nombre de tournées. Certains de nos danseurs font une grande partie, voire toute leur carrière chez nous, tandis que d’autres ne font que passer. Après le Covid, nous avons constaté une tendance chez les danseurs à préférer des postes plus stables et moins nomades. Nos danseurs ne passent qu’un tiers de l’année à Biarritz, le reste du temps étant consacré aux tournées internationales. Aujourd’hui par exemple ils sont à Bangkok et dans quelques jours ils seront au Vietnam. Notre compagnie attire surtout les danseurs qui aiment voyager et découvrir le monde. Le recrutement devient alors de plus en plus difficile, car les meilleurs danseurs cherchent souvent des places confortables. 

Comment accompagnez-vous les danseuses et danseurs au long de leurs carrières ?

Ça se fait à plusieurs niveaux. Tout d’abord, nous mettons à leur disposition une équipe médicale pour assurer leur suivi de santé. Puis sur le plan financier, nous constituons pour chacun d’eux un capital qui leur est remis à leur départ, une mesure nécessaire compte tenu du système de retraite français inadapté aux carrières des danseurs. En effet, la France est en retard sur la question des retraites pour les danseurs, avec un âge légal fixé à 64 ans, ce qui est inadapté à la réalité de leur profession. À titre de comparaison, aux Pays-Bas, il existe un système permettant aux danseurs de bénéficier de leur salaire pendant trois ans après la fin de leur carrière, sous réserve de présentation et d’acceptation d’un projet de reconversion. Pour pallier ces lacunes, nous prenons en charge la formation de nos danseurs pour l’obtention du diplôme d’État, facilitant ainsi leur future reconversion. Leur discipline et leur habitude du travail acharné leur permettent généralement de s’adapter facilement à de nouvelles voies professionnelles.

Et comment chorégraphiez-vous ? Vous préparez-vous longtemps en avance ou improvisez-vous ?

Mon processus chorégraphique varie selon les projets, mais la majorité de mes productions sont des commandes. Ce choix est dicté par la nécessité de financer une compagnie de 22 danseurs, ce qui ne laisse pas de budget pour les créations indépendantes. Les commandes sont des coproductions, où le théâtre commanditaire fournit la majeure partie du financement.

La difficulté du processus créatif dépend du projet. Par exemple, pour l’Opéra royal de Versailles, Les Saisons était une commande relativement simple, tandis que Marie-Antoinette a nécessité un long travail douloureux de conception et d’adaptation du sujet. Pour ce dernier, j’ai dû sélectionner la musique, écrire le script et choisir les moments clés de la vie de Marie-Antoinette à représenter. Je travaille à la manière des chorégraphes du XVIIIe siècle, en prenant en charge tous les aspects de la création, sans avoir recours à un librettiste. C’est moi qui fais tout.

Marie-Antoinette, Malandain Ballet Biarritz, 2018 © Olivier Houeix

Mon processus créatif est très visuel et imaginatif. Lorsque j’écoute une musique, je visualise différentes possibilités de chorégraphies pendant une semaine. Pour structurer mes idées, je dois d’abord fixer le décor, ce qui me permet de visualiser la danse dans un espace concret. Puis j’en discute avec notre décorateur chilien Jorge Gallardo, avec lequel je collabore depuis plus de 30 ans. Je lui communique mes idées une fois que je sais ce que je veux, qu’il développe ensuite sur plusieurs semaines voire plusieurs mois.

Une fois le décor établi, je passe au travail avec les danseurs en studio. Bien que j’écoute la musique chez moi pour m’imprégner de l’ambiance, je n’arrive pas avec des chorégraphies préétablies. J’improvise directement en studio, esquissant les pas que les danseurs reproduisent ensuite. Cette approche diffère de celle de certains chorégraphes contemporains qui font improviser leurs danseurs pour créer leur matériel chorégraphique. Je travaille plutôt à l’ancienne : chaque pas que vous voyez dans mes ballets, je l’ai d’abord exécuté moi-même, même si c’était de manière imparfaite.

Sur vos plus de 80 ballets, vous avez des petits préférés ?
Patricia Velazquez, Raphaël Canet et Hugo Layer dans Les Saisons, Malandain Ballet Biarritz, 2023 © Olivier Houeix

On va bientôt atteindre les 90 ballets, un nombre conséquent qui s’explique par le fait que j’ai commencé très jeune. Mais il faut noter que certains de ces ballets ne durent que 30 minutes. Je n’ai pas vraiment de ballet préféré. Maintenant je prends du recul, mais je suis rarement pleinement satisfait de mes créations, ce qui me pousse souvent à considérer mon dernier ballet comme mon favori, bien que ce soit une réponse assez banale.

Je suis souvent réticent à revoir mes anciens ballets. Cependant, lors de projections organisées pour les amis du ballet, j’ai été agréablement surpris par la qualité de certains de mes travaux passés.

Ma notoriété actuelle est relativement récente, ce qui suscite chez moi une certaine amertume. Avant d’atteindre cette reconnaissance, j’ai créé de nombreux ballets de qualité qui ont malheureusement été abandonnés faute de programmation. La reconnaissance est la chose la plus artificielle qu’il soit, largement influencée par les journalistes et les institutions. À cet égard, nous devons beaucoup à Yves Mousset, qui a joué un rôle d’intermédiaire crucial auprès de la profession journalistique. Il est intéressant de noter que j’ai initialement été soutenu par des journalistes plutôt de droite, tandis que dans les milieux contemporains et de gauche, comme chez Libération, ma couverture médiatique était minime. Cela illustre à quel point la danse est un art politique. En tant que chorégraphe, on est constamment confronté à cette dimension politique, notamment dans nos relations avec les élus. 

Le Sang des étoiles, Malandain Ballet Biarritz, 2004 © Olivier Houeix
Enfin est-ce qu’il est toujours prévu que vous partiez en décembre 2026 et quelle sera la suite pour le Malandain Ballet Biarritz ?

Mon départ de la direction du Malandain Ballet Biarritz est effectivement prévu pour décembre 2026. D’ici là, j’ai encore quelques projets en cours, notamment un ballet sur des musiques de Camille Saint-Saëns, d’une durée estimée entre 30 et 40 minutes mais ce n’est pas une commande. Nous n’avons pas eu de commandes depuis Les Saisons pour l’Opéra de Versailles.

Concernant la succession, un appel d’offre sera lancé en janvier. La personne choisie pour me remplacer sera nommée à la fin de la saison, en mai ou juin 2025. Une période de transition est prévue entre la nouvelle direction et moi-même pour assurer une passation en douceur. Après mon départ, mes ballets continueront d’être repris par d’autres compagnies. Par exemple, l’un de mes ballets est actuellement en cours de remontage à Cuba. J’ai également des projets pour remonter Marie-Antoinette à Vienne, et peut-être une nouvelle création, bien que ce dernier point ne soit pas encore confirmé.

Il est important de noter que notre compagnie dispose de trois maîtres de ballet, dont deux sont déjà impliqués dans la reprise de mes œuvres dans d’autres compagnies. Cela assure une certaine continuité artistique au-delà de mon mandat.

Pour l’instant, dans mon esprit, je me prépare à arrêter complètement mes activités avec le Malandain Ballet Biarritz à la fin de mon mandat. Cependant, comme on peut le constater avec les projets mentionnés, mon travail chorégraphique continuera probablement d’avoir une vie au-delà de cette date, à travers des reprises et peut-être de nouvelles créations pour d’autres compagnies bien que rien ne soit encore confirmé.

Du temps pour d’autre projets peut-être ?

Actuellement, je travaille aussi sur un livre consacré à L’Après-midi d’un faune, ce qui m’amène à me plonger dans l’histoire des Ballets Russes. Cette recherche met en lumière l’influence française dans la danse russe depuis Catherine II, ainsi que la diaspora des danseurs français dans le monde entier, contraints de s’expatrier pour trouver du travail et vivre de leur passion. L’arrivée des Ballets Russes en 1909 en France a marqué les esprits, non seulement par leurs décors et costumes novateurs, mais aussi par leur approche égalitaire entre danseurs et danseuses, et par la présence de danseurs masculins comme Nijinsky. Ils ont également introduit l’idée de soirées entières dédiées à la danse, une pratique qui n’a commencé à l’Opéra de Paris qu’en 1924. 

Claire Lonchampt en Marie-Antoinette, Malandain Ballet Biarritz, 2019 © Olivier Houeix

Il est important aussi de noter que l’histoire de la danse en France est souvent racontée du point de vue de l’Opéra de Paris, négligeant l’importance de villes comme Bordeaux, Lyon et Marseille, qui étaient aussi les capitales de la danse au XIXe siècle. Contrairement à l’Allemagne, où des villes moyennes comme Leipzig ou Stuttgart peuvent avoir des compagnies de 60 à 70 danseurs, la France manque de grandes compagnies en dehors de Paris. Cette situation reflète une réalité persistante en France : les directeurs d’opéra ont toujours le dernier mot sur les ballets, bien que ces derniers soient souvent plus rentables.

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