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Requiem à la Philharmonie : Verdi et Muti peuvent-ils réconcilier un public parisien ?

COMPTE-RENDU – Le phénomène cathartique peut prendre plusieurs formes lors d’une soirée musicale, surtout lorsqu’il est aussi bien amené : Verdi, d’une part, et l’un de ses plus grands défenseurs, Riccardo Muti, de l’autre. Avec eux, des solistes envoûtés : Iwona Sobotka, Marie-Nicole Lemieux, Giovanni Sala et Maharram Huseynov. Mais possèdent-ils, malgré leur engagement sans faille, le pouvoir d’apaiser une salle parisienne ? La réponse dans cet article.

Introïtus

Parfois, le contraste entre un public et un spectacle est tel qu’il faut s’y attarder pour en expier l’écart traumatique. Ce soir-là, un certain Paris semble s’être donné le mot : conseils altruistes (“Peut-être faudra-t-il revoir la correction de vos lunettes car vous êtes à ma place…”), cordialités adaptées (“Merci monsieur pour votre manque de galanterie !”), remarques fleuries (“Vous ne pouvez pas faire le tour des rangs au lieu de nous em***** à passer devant nos jambes !…”), autant de micro-situations qui, jalonnant le parcours jusqu’à mon siège, mettent dans les meilleures dispositions d’écoute.

Quid sum miser

Entre de nouvelles remarques du même acabit, quelques sonneries de portable incontrôlées, les instrumentistes remplissent peu à peu la scène, les choristes les gradins. Dans la salle, entamant un exercice de relaxation, j’essaie de m’imprégner durablement de la bonté alentour, vérifiant à plusieurs reprises que le numéro de ma place est bien celui indiqué sur mon billet, que mon téléphone est en mode avion et que l’empan de ma respiration n’outrepasse pas la liberté de mes voisins si prévenants. Arrivent alors, dans le coin de mon œil, le maestro attendu de tous, Riccardo Muti, et les quatre chanteurs principaux.

Requiem æternam dona eis

Le silence se fait, entrecoupé de toux qui se répondent. Puis commence la musique, portée par les gestes précis et calmes du chef italien, dont la figure tonique me happe. Le silence est alors tout autre, absolu. Le chœur entonne les premières phrases du Requiem, lugubres, grondant comme un orage lointain contre lequel les quatre voix solistes s’élèvent. La salle entière s’est concentrée sur le reflet métallique des instruments, captivée, à l’affût d’une promesse.

Communio

La voisine qui me tourne le dos, agacée par mes genoux (je suis grand) en début de soirée, soupire d’aise. Mon voisin latéral, si soucieux de ses jambes, retient quelques larmes, bien malgré lui. Les sensations savamment colorées par les artistes sont comme un élixir d’oubli et mon entourage, doucement, s’ouvre et s’apaise à leur contact : certains laissant un bras se placer contre le leur sur l’accoudoir sans le repousser, d’autres ne bronchant plus quand une quinte irrépressible noue une gorge émue… Sur le public, la catharsis verdienne semble agir, réconciliatrice.

Chorus Angelorum

Il faut dire que le spectacle se hisse aisément aux expectatives des uns et des autres avec, en premier lieu, le Chœur de Radio France et l’Orchestre National conquis par l’engagement et la vision de leur guide, dont ils suivent la moindre inflexion avec une docilité emplie d’une souplesse en éveil. Le son est rond et puissant, profitant de l’acoustique sèche pour souligner l’approche tourmentée de l’œuvre, oscillant entre passages empreints d’espoir et leur revers angoissé. À cela s’ajoute une diction soignée et expressive de la part des choristes, dont le nuancier permet sans peine à l’œuvre de trouver son équilibre si particulier, entre liturgie et opéra.

Lux æterna

Moi-même, je suis saisi par la lecture de Muti, dévoilant une relation unique à la partition, dans une exécution menée à vive allure, tirant la messe vers l’irrévocabilité dont elle est porteuse et insufflant de l’inquiétude jusque dans les silences. À ses côtés, des solistes nourris d’un même feu, à commencer par la voix lumineuse et puissante d’Iwona Sobotka, d’une homogénéité constante se déployant sans difficulté dans une écriture exigeante et, bien souvent, exposée. Marie-Nicole Lemieux offre à l’ouvrage un timbre cuivré et un engagement nourri par l’aura du chef qu’elle ne quitte pas des yeux et dont on mesure avec plaisir la générosité. Le ténor italien Giovanni Sala tire la partition vers une élégance rossinienne qui sied bien aux quatuors, porteur d’une voix sensible et claire, éloignée de la vaillance habituelle. En contre-point, Maharram Huseynov fait montre d’une basse jeune et noire, au timbre riche, et un chant bien conduit et soucieux de correspondre, comme ses trois collègues, à la vision fédératrice du maestro.

À Lire également : le compte-rendu Ôlyrix
Libera me

Lorsque le spectacle s’achève, la salle a perdu de sa réserve hautaine : les coudes sont emmêlés et les mains suantes de reconnaissance, les visages rougis ne s’offusquent plus des genoux mal placés, et les seules remarques qui fusent jusqu’à la chevelure mythique de Riccardo Muti sont : “Bravi ! Merci !” Après quatre rappels, le public se lève et entame sa lente sortie vers le parc de la Villette, l’occasion s’il en fallait de retrouver ses repères et, en revenant à la réalité, cette camaraderie si caractéristique (“Non madame, ce n’est pas moi qui pousse !”, “Merci monsieur d’avoir chantonné durant toute la représentation, j’en ai bien profité !”, “Avec tous les coups de genoux que j’ai reçus, je vais vous envoyer la facture de mon ostéopathe !”, etc.) Je sors de là au plus vite, les oreilles pleines de musique pour n’entendre qu’elle, heureux de cette brèche sublime dans un quotidien partagé.

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