DANSE – Dans le cadre de sa saison lituanienne, le Théâtre de la Ville propose deux performances qui donnent le tournis au public et relèvent de véritables prouesses techniques : Lora de Rachid Ouramdane et Hairy de Dovydas Strimaitis. Un concept innovant et hypnotique où la tête est au centre de toutes les attentions.
Le tourbillon de la vie
Le chorégraphe Rachid Oumaradane, à la tête du Théâtre national de Chaillot, signe avec Lora, une ode vibrante à Lora Juodkaité, une danseuse lituanienne époustouflante qui bouscule les normes. Lors de leur rencontre à un atelier de danse en 2005, le chorégraphe fut complètement subjugué par cette « toupie humaine », capable grâce à une vertigineuse giration sur demi-pointe, de donner le vertige à quiconque la regarde.
Au-delà de la prouesse physique spectaculaire, le tournoiement de Lora s’avère être un « rite intime quotidien », une thérapie corporelle, qu’elle pratiquait initialement en cachette pour « calmer sa douleur et tordre la réalité ». Le spectacle commence comme une comédie musicale légère sur les notes de Funny Girl, trompant habilement le spectateur, avant de l’entraîner dans les tréfonds de l’âme de l’artiste et de ses réflexions intérieures.
Calligraphie du vertige
Sur un plateau blanc et dépouillé, Lora transforme son corps en un véritable champ de forces gravitationnelles. Ses rotations, d’une maîtrise stupéfiante, alternent entre des accélérations fulgurantes et des moments plus lents où elle s’exprime pleinement avec des mots. Ses bras tantôt en croix, tantôt repliés, lui permettent de dessiner dans l’espace une calligraphie du vertige sur les murs. Les paroles qui accompagnement la danse deviennent de plus en plus intimes, nous plongeant dans un état de résilience profonde.

A mesure que la vitesse du tournoiement s’intensifie, le corps de Lora se métamorphose en un kaléidoscope vivant. Son ombre projetée sur le mur s’étire, se déforme, créant des images stroboscopiques saisissantes. Tourner ainsi pendant plus de vingt minutes, sans la moindre défaillance de l’oreille interne, relève être autant de l’exploit physiologique qu’artistique. Lora nous rappelle que la danse est bien plus qu’un simple divertissement : c’est un exutoire des tourments du passé et une véritable catharsis permettant de guérir les blessures du passé.
Hairy : ébouriffant !
Avec Hairy, son œuvre phare, le chorégraphe lituanien Dovydas Strimaitis propose une création aussi audacieuse que déconcertante, réinventant le « headbang » (ou « headbanging ») des concerts de métal, c’est-à-dire un type de danse où on balance violemment sa tête sur un rythme effréné, en une chorégraphie contemporaine complètement innovante. Sur une scène dépouillée, quatre danseurs transforment alors leurs belles crinières en véritables extensions corporelles, oscillant entre « headbang » frénétiques et « windmill » vertigineux, plus précisément, une danse « moulin à vent » avec des mouvements giratoires de la tête. Bref, la tête et les cheveux sont vus comme une extension poétique du corps.

D’emblée, le début intrigue : une danseuse ouvre le bal, ancrée au sol en position squat, tête renversée, balayant le sol de ses cheveux dans un crescendo hypnotique suivant des pulsations électriques (boules Quies distribuées à l’entrée). On ne voit jamais son visage ou seulement furtivement. Bientôt rejointe par ses trois acolytes, ils orchestrent une chorégraphie capillaire aussi surprenante que millimétrée, digne d’une publicité pour shampoings. Vêtus de combinaisons latex noir vinyle façon BDSM, les interprètes déploient une technique époustouflante pour dominer ainsi leurs crinières. Leurs cervicales, mises à rude épreuve, pendant quarante-cinq minutes, supportent des rotations prolongées dans des positions improbables et on songe aux séances d’ostéopathie, qui suivront inévitablement. Mais il n’y a pas à dire, Strimaitis parvient à sublimer le cheveu, l’élevant en symbole de liberté. Les reflets chatoyants des crinières en mouvement nous fascinent, au point qu’on serait tenté de demander les secrets de leurs routines capillaires.
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Hélas, la répétition des mouvements finit par essouffler la magie. La chorégraphie, si innovante soit-elle, peine à se renouveler. Quand résonne enfin la Sarabande de la Suite pour violoncelle N°2 de Bach, après trente minutes de transe électronique inaudible, il est déjà trop tard, l’épuisement a gagné spectateurs et danseurs qui s’écroulent complètement épuisés sur le sol. Hairy nous offre une prouesse technique qui pousse un concept innovant à ses limites. Une expérience qui secoue littéralement la danse contemporaine mais nous laisse un goût d’inachevé en emprisonnant ses interprètes dans une gestuelle répétée à l’infinie, devenue carcan.