OPÉRA – Le 15 novembre 2024 a eu lieu la première représentation d’Hamlet d’Ambroise Thomas à l’opéra de Massy. Une mise en scène toute en sobriété qui met en lumière le drame seul, et la belle performance des artistes qui l’animent. Un hommage au cinéma en noir et blanc ?
Ce qui ressort avant tout de ce spectacle, c’est la mise en scène. Frank van Laecke parvient par sa sobriété et son efficacité à appuyer le drame de façon forte et à captiver le public du début à la fin. Les décors et costumes de Philippe Miesch, les chorégraphies de Tom Baert et les jeux de lumières de Jasmin Šehiċ donnent à Hamlet un aspect visuel épuré sans être pauvre, où tout semble être mesuré avec précision pour accompagner les artistes sur scène dans l’expression des émotions. Aucune couleur ne vient perturber la cohérence des visuels en noir et blanc. Il s’en dégage une impression de légèreté grave et précise qui rend l’ensemble simplement beau.
Psychose
Cette beauté atteint son sommet durant l’air de folie d’Ophélie, où elle se retrouve sur une scène sombre entourée des choristes vêtus entièrement de noir avec des crânes qui masquent leurs visages. Voir tous ces crânes parfaitement immobiles un moment puis se tourner lentement et en même temps vers Ophélie lorsqu’elle commence sa chanson produit un effet saisissant malgré l’apparente simplicité de la scène qui est chargée d’intensité pour finir inondée de lumière blanche quand elle se jette derrière la scène de façon spectaculaire, pour sa mort.
Jeux d’ombres
Autre très bonne idée de mise en scène : la présence d’un second plan qui peut s’ouvrir et se fermer pour rendre l’action fluide à suivre, et qui permet d’apporter des changements de décors sans interrompre l’action. Le second plan fermé permet aussi de jouer avec les ombres des personnages à l’avant de la scène. Comme toute bonne idée, on aimerait en avoir plus ! Si la mise en scène est pleine d’idées originales de ce genre, la surprise majeure intervient au moment où Hamlet fait jouer en public, en présence de Claudius et Gertrude, une troupe de comédiens qui jouent l’assassinat d’un roi, accusant directement Claudius du meurtre de son père.
La fausse pièce de théâtre se déroule au second plan, Hamlet commente l’action au premier plan, les choristes sortent de la scène pour venir entourer le public et le roi et la reine viennent même s’asseoir dans la salle. L’effet produit est original et très réussi, les spectateurs se retrouvent alors complètement impliqués dans l’action, entourés d’artiste et enveloppés de musique.
B.O Haute définition
Comme la mise en scène, la musique (Orchestre National d’Île-de-France sous la direction d’Hervé Niquet) est d’une précision redoutable, avec un jeu sur les nuances parfaitement maîtrisé. Les bois et les cuivres en particulier font par moment preuve d’une finesse toute particulière pour sublimer les parties vocales, sans jamais les couvrir. Le chœur d’Angers Nantes Opéra et le chœur de l’opéra de Massy, tous deux présents, ont aussi livré une belle performance malgré quelques imprécisions durant le premier acte qui pouvaient donner aux scènes de festivités une impression de léger désordre.
Voix par voix : Ophélie crève l’écran
Le baryton argentin Armando Noguera dans le rôle principal est impressionnant du début à la fin, avec une voix puissante et chargée d’émotion : colère, tristesse, désespoir, tout ça avec une intensité détonnante et une sensibilité évidente.
L’autre rôle majeur de l’œuvre est celui d’Ophélie, interprétée par Florie Valiquette. Sa virtuosité et sa maîtrise vocale ont fait de sa performance un succès total. Assez discrète au début, sa voix et son jeu sur scène ont pris possession de la salle à mesure que la folie s’emparait de son personnage, jusqu’au paroxysme du dernier air, au quatrième acte.
Gertrude, la mère d’Hamlet, était interprétée par Ahlima Mhamdi : timbre chaleureux et particulièrement intéressant dans son registre grave. Elle a su être présente vocalement durant les moments importants, et se mettre en retrait lors des duos et trios qui mettaient l’accent sur les personnages d’Ophélie et Hamlet.
C’est la basse Patrick Bolleire qui assurait le rôle de Claudius. Malgré quelques moments de souffle un peu court, son interprétation a mis l’accent sur l’aspect imposant et menaçant du personnage qu’il a bien réussi à incarner.
Pour les rôles plus secondaires, Kaelig Boché en Laërte était impressionnant dans sa capacité à sortir ses notes avec une puissance et un dynamisme inattendu. Jean-Vincent Blot a prêté sa voix au spectre du défunt roi, jamais sur scène. Pour donner une texture particulière et un aspect “spectral” à son personnage, il a été fait le choix de sonoriser sa voix. Parti pris détonnant qui fonctionne, mais qui rend compliqué de juger la performance.
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Enfin, les personnages d’Horatio et Marcellus, interprétés respectivement par Florent Karrer et Yoann Le Lan, étaient convaincants, même si la voix de ténor du second manquait parfois légèrement de subtilité pour répondre parfaitement aux nuances de l’orchestre.
C’est donc un très beau spectacle plein d’élégance qui a été proposé avec des artistes talentueux et des choix de mise en scène originaux au rendu sobre mais efficace qui ont permis d’accentuer le drame de l’œuvre. Contrairement aux cinéastes, les photographes le savent : le noir et blanc c’est parlant !