COMPTE-RENDU – Kenavo ti z’aut’ ! L’Opéra-Jazz-Breton « La Falaise des lendemains » composé par Jean-Marie Machado, créé à Rennes en novembre dernier débarque en expédition dans ch’Nord, pour une escale au Théâtre Municipal Raymond Devos de Tourcoing.
Not’ compt’rendu de la création en Bretagne (sur Ôlyrix) présentait l’œuvre et les belles perspectives qu’elle offre à l’opéra, ces perspectives continuent de se déployer, et s’il est toujours précieux que des productions lyriques soient co-produites afin d’assurer leur diffusion, le fait que l’Atelier Lyrique de Tourcoing soit partie prenante d’un opéra breton est d’autant plus remarquable : sur le chemin de la rencontre des richesses culturelles régionales entre elles et des styles qui forment cet opéra puisant aussi dans la comédie-musicale.
Les falaises ne sont pas des confins…
L’esprit du conte porte ce récit mythique de la naissance de la musique en Bretagne confrontée à une histoire nimbée de poésie, tragique et universelle : à Roscoff dans le Finistère, la fin de la Terre voit aussi la menace peser de la fin de l’Humanité, durant les années de la Grande Guerre (que le Nord a lui aussi vécu profondément dans sa chair). Dans ce monde, le terrible docker Dragon profite des turpitudes internationales pour semer la terreur locale, maltraitant et abîmant les femmes et les artistes (marionnettistes en l’occurrence), les jetant à terre ou du haut de la falaise. Ce dragon finira toutefois par tomber à son tour, laissant place à la falaise des lendemains…
Le livret de Jean-Jacques Fdida, en français, breton et anglais (un autre lien de proximité avec le Nord) traite directement et dans une union universelle des langues de ces passions, de l’amour, de la violence, de la rédemption, de la mort aussi. La musique réunit les instruments et les influences, traditionnelles, lyriques, jazz. Des airs déchirants et déchirés rappellent de lointains échos de la lancinante scène des énigmes dans Turandot de Puccini. L’œuvre surprend et marque par l’âpreté, la noirceur, mais aussi sa vitalité, une lumière qui persiste, comme les fleurs qui s’insinuent dans les fissures des maisons ruinées par les folies des hommes.
bagad lyrico
L’Orchestre Danzas, dirigé sur scène avec précision et discrétion par Jean-Charles Richard, déploie avec poésie des soli et des ensembles en écrin au chant et à la narration. L’amplification des interprètes est naturellement intégrée. Derrière lui dans cette scénographie de Lisa Navarro, deux échafaudages figurent notamment la falaise, tandis qu’à l’avant-scène se retrouvent les ensembles, dans des costumes (de Marion Benagès) réalistes et universels à la fois.
La mise en scène de Jean Lacornerie va ainsi à l’essentiel de l’expression, de l’âpreté des situations, des moments quasi chorégraphiés, et de ceux dansés, réglés par Raphaël Cottin (atténuant l’horreur des situations, par l’esthétisation, un peu comme dans le récent film Emilia Pérez).
Les chanteurs, amplifiés, réunissent eux aussi les différentes formations et techniques, s’investissant dans le jeu comme dans la partition. Et quelle qu’en soit la langue, ils prononcent de manière limpide !
Nolwenn Korbell traduit le parcours de rédemption de son personnage, en déployant avec conduite ses couleurs vocales. Tout comme Cécile Achille, infirmière au timbre chaleureux. La mezzo-soprano Karine Sérafin offre une présence et autorité vocale d’héroïne.
Florent Baffi paraît d’abord caché mais prend de l’assurance vocale à mesure, à l’image de son personnage d’homme de main de Dragon. Florian Bisbrouck est ce terrible Dragon, d’une voix légère mais riche en couleurs, presque trop « belle » pour la monstruosité de ce personnage, qu’il incarne toutefois pleinement.
Gilles Bugeaud offre à l’ami de Chris sa voix claire et déliée, incarnant pleinement la fidélité. Le personnage de Chris (tel un Roméo avec Lisbeth pour Juliette) est brisé, physiquement, puis moralement, mais garde en lui l’étincelle d’une lumière entrevue jadis et retrouvée in fine : un portrait très émouvant et rendu comme tel par Vincent Heden passant à la voix de tête avec aisance, qualité indispensable pour sa partie très difficile, tendue, haut perchée.
Enfin, Yete Queiroz irradie dans les moments lyriques avec un chant ambré et fruité, une grande sensibilité, un souci des couleurs et des dynamiques qui sculptent le personnage dans ses diverses facettes, et le rendent touchant, certes, mais aussi lumineux : incarnant la vitalité, et l’identifiant aussi à la fée du conte qui sous-tend le récit.
Le public salue avec ferveur cette création porteuse d’espérance et d’harmonie : Gourc’hemennoù et merchi !
