CONCERT – À la Philharmonie, Klaus Mäkelä retrouve l’Orchestre de Paris dans un programme Ravel/Stravinsky placé sous le signe du jeu et du récit – que ce soient les contes de Perrault ou les tribulations du pantin Petrouchka. L’occasion pour l’ensemble de faire entendre toute sa palette de couleurs et de timbres, et d’enthousiasmer un public parisien déjà tout acquis à sa cause.
Lorsqu’il foule la scène de la Philharmonie de Paris, Klaus Mäkelä a sans doute la sensation de jouer à domicile, car à peine a-t-il posé le pied sur le plateau que le public l’acclame. Mais dans un programme consacré à Ravel et Stravinsky, et dans des œuvres ludiques au possible, c’est sans aucun doute l’Orchestre de Paris qui mène la partie.
Jeux de tomb’eau
Avec Le Tombeau de Couperin, Ravel explore un genre musical ancien et appose son langage moderne à des formes aussi convenues que tombées en désuétude – forlane, menuet et autre rigaudon. Mais dans cet exercice, qui aurait pu aisément basculer dans la pure parodie, le compositeur garde une élégance et une tendresse que partage la direction de Klaus Mäkelä : le son d’ensemble dans le Prélude est diaphane, malgré l’effectif conséquent de l’orchestre ; le rigaudon reste tout à fait délicat jusque dans le forte ; et surtout, le chef sait ménager ses effets : la forlane ne se charge d’inquiétude qu’après une longue entrée en matière calme et homogène, et le menuet attend avant de déployer son énergie dramatique et son lyrisme. L’inspiration du XVIIIème siècle disparaît finalement sous les raffinements orchestraux, moins exercice de style qu’exploration ludique des couleurs de l’orchestre.
Jeux de timbres
De ludisme, il en est encore plus question dans Ma mère l’Oye, peuplée de la Belle au bois dormant, du Petit Poucet, de Laideronnette et de la Belle et la Bête. On retrouve chez Klaus Mäkelä cette volonté de diluer le temps : il ne se jette pas dans la narration, mais lui préfère des effets de matière, moins intéressé par le récit que par la peinture sonore, qui se déploie lentement, par touches.
C’est véritablement le mouvement « Laideronnette, Impératrice des pagodes » qui révèle l’orchestre. Dès lors qu’apparaissent le jeu de timbres, le célesta et le xylophone, ce n’est pas seulement une nouvelle atmosphère qui surgit, mais un nouveau rapport entre les différents pupitres. Différentes textures, différents reliefs viennent ciseler l’ensemble, et s’imposent aux mouvements suivants : il y a bien sûr le jeu entre le contrebasson et le violon solo dans « Les Entretiens de la Belle et de la Bête », puis la longue construction du crescendo final du « Jardin Féérique ». Chatoyant, brillant, animé, le son de l’Orchestre de Paris est parfait pour ce répertoire, servi par des vents impeccables de précision comme de musicalité. Un terrain de jeu formidable pour un chef, qui peut expérimenter à loisir les ressources de son équipe.
Jeux d’ombres
Véritable théâtre de marionnettes pour génie de la parodie, Petrouchka montre tout le talent narratif de Stravinsky, dont la direction de Klaus Mäkelä semble privilégier une lecture joyeuse, parfois presque enfantine tant la joie domine tout. Parmi les nombreuses péripéties du personnages principal et de l’Orchestre de Paris, on mentionnera surtout l’élégance du jeu de citation dans le premier mouvement (où le compositeur reprend la chanson populaire « Elle avait une jambe de bois » !) et l’onirisme de la « Baraque du charlatan » ; on relèvera la distance ironique et pleine d’esprit du piano dans la scène chez le Maure ; on soulignera l’éclat expressif de la trompette solo dans ses diverses occurrences de fanfare ; et on retiendra enfin cette superposition du brillant des flûtes et du tragique des contrebasses dans la Valse.
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Bien qu’expressive, cette lecture de Petrouchka est là encore moins un travail de narration qu’un jeu sur les timbres de l’orchestre : des timbres riches, chaleureux, clairs, où Klaus Mäkelä parvient à faire coexister les diverses atmosphères qui traversent l’œuvre.
Ovationné par le public de la Philharmonie, Klaus Mäkelä quitte la scène après son deuxième salut. Mais c’était sans compter sur le violon solo Andrea Obiso qui, tapant des pieds et bientôt rejoint par tout l’orchestre, fait revenir le chef pour un dernier rappel. Directeur musical peut-être, mais pas totalement maître du jeu.

