OPÉRA – La nouvelle production de la Flûte Enchantée à l’Opéra de Tours fait la part belle à l’aventure et au rêve dans un Himalaya fantasmé, dans une mise en scène inventive d’Éric Vigié sous la direction musicale de Clelia Cafiero.
Ouverture : Tin ! Tin !
Fond rouge lambrissé. Dans le coin gauche, un énorme vase Ming. Un dragon chinois apparaît en projection numérique. Dans ce premier tableau, le spectateur ne manque pas d’éprouver un sentiment de déjà-vu. Le doute n’est plus permis lorsqu’apparaît entre les mains de Tamino, puis de Pamina, l’album Tintin et le Lotus Bleu. D’autres citations à l’univers d’Hergé émaillent la mise en scène d’Éric Vigié, sans pour autant en constituer la seule inspiration. La fable de Mozart et Schikaneder est transposée dans un Extrême-Orient onirique, où se côtoient dragons, pandas, bonzes, statues du Bouddha, sans oublier le Migou (ou « Yéti »), qui se laisse gentiment amadouer par la flûte de Tamino. Une mise en scène qui parle à l’enfant qui sommeille en tout un chacun.

La ligne claire
Outre les décors somptueux de Matthieu Crescence, la magie s’exprime par les projections vidéo ingénieuses et colorées de Gianfranco Bianchi. Ainsi, lors de la scène des épreuves, Tamino et Pamina se retrouvent enfermés à l’intérieur d’une tête de statue géante (à l’oreille intacte, donc pas cassée), animée numériquement pour figurer des flammes, puis de l’eau. L’effet est des plus saisissants.

La magie s’exprime aussi sous le trait de crayon de la cheffe invitée Clelia Cafiero : la ligne claire. Pas de pesanteur romantique dans sa direction qui file avec allégresse. Les parties des instruments sont cependant subtilement détaillées en contrepoint du chant. La qualité musicale déployée ce soir étaye les justes prétentions de l’orchestre à se voir accorder un statut professionnel, revendiqué depuis le début de la saison. L’aria de Pamina Ach, ich fühl’s est particulièrement mis en valeur, sur un tempo de marche languissant, pas si loin du Lacrimosa du Requiem, donné un mois auparavant sur cette même scène. La prestation aboutie des choristes de l’Opéra de Tours ce soir confirme à nouveau l’excellent travail de David Jackson comme chef de chœur.
Pamina : vol 714 pour Sidney
Du côté des solistes, le Tamino de Maciej Kwasnikowski est convainquant, doté d’une bonne technique mozartienne et d’un timbre solaire, bienvenu sur ce rôle.
- Jeanne Mendoche prête à Pamina une voix riche, au phrasé fluide d’une grande expressivité. Au second acte, elle décolle (littéralement) dans la nacelle des trois enfants pour rejoindre son prince. Sa prestation est remarquée et lui vaut un tonnerre d’applaudissements.
- Également acclamé, le Papageno de Jean-Gabriel Saint-Martin, dont le timbre ample et piquant relève chaque ensemble vocal. Déchaîné sur scène, il amuse par ses facéties, avant de finir enchaîné et traîné en coulisses par l’énergique Papagena de Manon Lamaison, qui lui tient la dragée haute sur le plan vocal. Les rôles sont inversés : l’oiseleur est capturé par l’oiselle, et on le devine promis à un fichu quart d’heure…
- Anne Sophie Petit s’impose en Reine de la Nuit, grâce à sa vocalité souple, culminant sans peine au contre-fa. À l’extrême opposé de la tessiture, Julien Segol s’illustre en Sarastro à la voix veloutée et au grave profond.
- Endossant le costume du majordome, Pablo Garcia Lopez incarne un Monostatos obséquieux à souhait, avec un beau dépit de parole sur son unique aria.
- Les trois dames (Erminie Blondel, Annouk Jobic, Marie Gautrot) apparaissent parfaitement en harmonie. C’est également le cas des deux prêtres (Matthieu Toulouse, Arnaud Rostin-Magnin). Enfin, les trois enfants, issus de la maîtrise du CRR de Tours, assurent leur partie avec application, bien préparés par leur professeur du conservatoire, Marie Saint-Martin.
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Le rideau se ferme sur le Yéti, rôle muet mais véritable guest-star de la production, qui adresse un dernier salut au public.

