À L’ÉCRAN – Dans la plus pure tradition du film-opéra, le chanteur Sébastien Guèze signe avec le réalisateur Anthony Pinelli une Bohème 2050 qui, tout en sublimant la musique de Puccini, entend aussi faire passer un message écologique. En place, avec son pop-corn salé, pour une projection qui semble vouloir annoncer l’apocalypse. Ou pas…
Ah, le Paris des années de bohème, ses candélabres embrumés, ses mansardes au bois qui craque, ses auberges chauffées par les effluves de vin… et ses voitures qui volent. Really ? Bon, on n’en est pas tout à fait là, mais c’est pourtant bien dans un cadre résolument futuriste que s’inscrit cette intrigante Bohème 2050 dont le titre, à lui seul, a tout du parfait oxymore.
Coup de show
La Bohème, celle de Puccini, avec son charme très chiche du milieu XIXe, soudainement placée…dans le futur ? Mais oui : il fallait y penser, Sébastien Guèze l’a fait, lui l’artiste lyrique convaincu que le rôle de l’opéra est aussi de faire passer des messages. Lequel est clair, en l’occurrence : d’ici trente ans, la planète ira bien plus mal qu’aujourd’hui (c’est donc possible), les grandes chaleurs seront la norme, et il sera à vrai dire moins question de vivre que de survivre face à des températures à faire passer les canicules du début de notre siècle pour de gentillets étés indiens. Est-elle donc là, l’apocalypse ?

Voilà en tout cas, pour un opéra du grand répertoire italien, un ancrage qui a assurément de quoi décontenancer. Mais après tout, on a déjà vu une Bohème délocalisée…sur la lune, avec une love story ayant pour cadre un vaisseau spatial, alors pourquoi ne pas oser la carte Retour vers le Futur ! D’autant que Doc Guèze et ses équipes n’ont ici pas ficelé une version scénique, mais bien un film, un vrai, en bonne et due forme, avec le générique qui va bien et des images percutantes et si richement travaillées qu’elles pourraient en faire pâlir bien des cinéastes à la mode. Ainsi, mais oui, en regardant cette Bohème puccinienne, comme d’autres avaient pu le faire jadis en une production de Comencini où figuraient des petits jeunes nommés Carreras et Hendricks, c’est bien un long métrage de plus d’une heure que découvre le curieux spectateur, qui vit à vrai dire une drôle d’expérience, en ne pouvant s’empêcher de s’interroger : est-elle donc là, l’apocalypse ?
Mimi : plus de batterie
Une chose est sûre : ce film lyrique, s’il garde la trame de l’intrigue amoureuse, casse bien des codes du livret original (et l’assume royalement). Exit donc le Paris des années 1830, place à un monde d’un futur pas si lointain où le soleil accable l’humanité, et où il convient de se réfugier dans d’ultimes havres de fraîcheur, tel ici…le château de Versailles et ses sous-sols transformés en bunkers survivalistes. C’est là que Rodolfo et ses amis tentent de vivre d’amour et d’eau (très) fraîche, croisant des compagnons d’infortune venus aussi trouver asile sous des jardins qui sont les derniers à pouvoir être un tantinet arrosés. Parmi eux, une dénommée Lucia qui préfère se faire appeler Mimi, et qui, avec ses yeux d’un puissant bleu de cobalt, se trouve être une intelligence artificielle censée sauver l’espèce humaine de sa disparition annoncée. Mais cette nymphe désolée n’a plus de forces, elle se meurt non à cause du froid mais de cette chaleur qui la prive de toute ressource énergétique (à commencer par une lumière du jour bien trop accablante). Alors, dans cet univers balayé non par le vent du nord mais par un brûlant sirocco, sa déchéance semble inéluctable, et celle de ses amis aussi… Mais alors, si même l’IA n’y peut rien, comment stopper l’apocalypse ?

Réchauffement dramatique
Niveau espérance et foi en l’avenir de la planète, le message est dur, donc. Mais comme les voix, elles, sont d’une douceur exquise ! À commencer par celle de la saisissante et magnétique Mimi de Vannina Santoni, à qui l’on pourrait assurément décerner un oscar pour une interprétation d’actrice accomplie, mais surtout, donc, pour la qualité d’un chant tout en sensibilité et fine musicalité. Des aigus rayonnants et des graves d’une chaleur de circonstance, une ligne de chant polie avec des manières d’esthète, et surtout ce timbre d’une grisante suavité et ces manières de dire l’amour ou le chagrin avec une passion débordante : rien ne manque. Sébastien Guèze s’empare lui du rôle de Rodolfo avec panache et une palpable envie de décrire tous les tourments du personnage, avec une voix dont on apprécié particulièrement le médium nourri. De ces deux amants unis par un amour sans lendemain, l’union finale, au soleil couchant avec vue sur le parc royal, est un délice tant pour les yeux que pour les oreilles. Et pourtant, l’apocalypse n’est-elle pas alors imminente ?

Dans ce casting d’acteurs-chanteurs, Catherine Trottmann porte elle une Musetta aussi élégante que frivole, avec ses manières de fausse femme fatale et de vraie amante jalouse, avec surtout sa voix large aux atours cristallins et d’une rondeur capiteuse. Son Marcello touche tout aussi juste, avec un Yoann Dubruque au baryton solidement charpenté, quand ses amis Schaunard et Colline trouvent en Joé Bertili et Jean-Vincent Blot des interprètes tout aussi convaincants. Quant à Frédéric Longbois en Alcindoro, à la fois homme de chant et de théâtre, il prouve qu’il n’a pas que la seule Bécassine à son répertoire (les amateurs de The Voice comprendront, pour les autres direction Youtube). Mais alors, tant de belles voix peuvent-elles vraiment annoncer l’apocalypse ?
Bio-péra
Évidemment non ! Car si en cette année 2050 la terre déraille (mais ne le fait-elle pas déjà aujourd’hui ?), cette Bohème façon « biopéra » est surtout l’occasion de redécouvrir l’œuvre de Puccini sous un jour nouveau, certes en version raccourcie (les airs majeurs étant préservés), mais avec toujours ce sel dramatique, cette tension amoureuse, cette franche camaraderie, qui fait l’essence de cet opéra. Et pour qui veut se convaincre que l’esprit lyrique est intact, il suffit de fermer les yeux et d’écouter, simplement écouter, pour se croire comme immergé sur une authentique scène lyrique.
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Et ce avec une partie instrumentale confiée à un orchestre de l’Opéra Royal de Versailles qui, conduit par Victor Jacob, se met parfaitement au diapason du drame ambiant, avec un jeu plus bouillonnant que jamais lorsqu’il s’agit de décrire le déchirement des cœurs humains et célestes. Alors, pour faire de l’art lyrique une matière à toucher les âmes et les consciences, Sébastien Guèze-Coppola et ses amis disent : yes. Mais pour l’apocalypse : no !
La Bohème 2050 est é retrouver en streaming sur France Télévision jusqu’au 21 octobre 2025