MARATHON – Bozar et la Cathédrale Saints-Michel-et-Gudule à Bruxelles accueillent une institution belge : l’ORGAN NIGHT. Un marathon qui fait résonner les tubes, pour six heures de musique ! Cette année, dix organistes font résonner trois orgues distincts en pleine nef : le polyvalent orgue Grenzing (suspendu en nid d’hirondelle), l’orgue de chœur Collon (style baroque), et l’organetto portatif typiquement médiéval.
Bart Verheyen, Xavier Deprez, Isabelle Demers, Benoît Mernier, Guillermo Pérez, Jeremy Joseph, Bernard Foccroulle, Cindy Castillo, Alice Hebborn et Pierre Slinckx se mobilisent pour retracer une histoire bien inspirée de l’orgue : La Culture tube.
Une équipe d’exception au service du roi des instruments
De 18h à minuit, un programme ininterrompu, articulé en séquences de 30 minutes, offre une immersion progressive dans l’univers de Johann Sebastian Bach. Ses œuvres majeures, vrais « points d’orgue » du répertoire, dialoguent avec des pièces médiévales (Guillaume de Machaut, Johannes Ciconia, Francesco Landini), baroques (Dietrich Buxtehude, Nicolas de Grigny), contemporaines (Benoît Mernier, Philip Venables, Philippe Boesmans, Bart Verheyen) ainsi qu’avec quelques explorations électroniques signées Alice Hebborn et Pierre Slinckx…
À leur arrivée, les spectateurs reçoivent un bracelet — sésame souple qui leur permet d’entrer, de sortir, de revenir à leur guise. Car oui, six heures d’orgue, c’est intense… mais nul besoin de s’y plonger d’un seul trait. On peut picorer, flâner, écouter par fragments, laisser infuser, puis revenir pour une autre bouchée.
Dans un ballet discret mais continu, le public circule d’un instrument à l’autre (nef ou chœur) : assis, debout, de près, de loin, de face ou de biais. À chaque détour, c’est toujours l’orgue qui capte l’attention, en majesté. Entre exploration libre et itinéraire intuitif, l’expérience devient une sorte de rallye acoustique, à la fois contemplatif et mouvant — avec, en filigrane, ce petit goût de « reviens-y » qui fait toute la magie de la nuit.
L’orgue de chœur de Patrick Collon : un baroque aux tuyaux …. bien tempérés
Commençons par faire connaissance avec le doyen des instruments de la maison : l’orgue de chœur, signé par le facteur d’orgue bruxellois Patrick Collon. Installé en 1977, le modèle est inspiré de la forme des orgues baroques de Gottfried Silbermann, le facteur préféré de… Bach lui-même !
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D’apparence, ce n’est pas un monstre caché dans les hauteurs, mais un instrument tout en sobriété, doté d’une console « en fenêtre » — comprenez que l’organiste joue face aux tuyaux, presque nez à nez avec la bête. Collon a signé ici un instrument visionnaire, pile au moment où l’on redécouvrait l’art de jouer Bach « comme au bon vieux temps », avec des timbres proches de ceux que le compositeur aurait entendu de son vivant.
Bart Verheyen amorce la rencontre avec ses compositions personnelles, ses Mechanism 1, 2, 3, 4 et 5 dont les notes pétillent en un impressionnisme minimaliste, sautillant et répétitif, avant de saluer Bach avec une Passacaille, construite en lenteur et finesse.
Jeremy Joseph prend ensuite les commandes pour un programme radical de puissance et souplesse. Il déroule d’abord la Toccata en do majeur, BWV 566a — pièce d’ouverture jubilatoire —, avant de plonger dans la rigueur ornementée de Dies sind die heilgen Zehen Gebot (BWV 678), extrait du Clavier-Übung III. Il referme son intervention par un grand arc tonal : le Prélude et fugue en do majeur, BWV 547.
Le grand orgue Grenzing : acrobate suspendu, maestro du vent
Perché en équilibre à mi-hauteur de la cathédrale, accroché à flanc de nef comme un nid d’hirondelle savamment ouvragé, le grand orgue Grenzing semble avoir troqué la pesanteur pour une certaine idée de la légèreté. Suspendu — littéralement — sans tribune ni jubé, il plane entre sol et voûte depuis l’an 2000.
Derrière cet exploit architectural : l’atelier de Gerhard Grenzing, facteur d’orgues établi à Barcelone, et l’architecte Simon Platt, qui signent ensemble un instrument à la fois audacieux et intégré. Trois buffets, une console suspendue (oui, elle aussi), quatre claviers, un pédalier, et soixante tirants de registres à actionner avec art — c’est un peu comme piloter un vaisseau de bois et d’étain dans une nef gothique, avec l’utilité d’un couteau suisse.
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À ceci près qu’il pèse près de 30 tonnes. Léger, vous disiez ?
Pour l’Organ Nignt c’est un véritable ballet d’organistes qui se relaie aux manettes de cette machine céleste :
- Xavier Deprez ouvre la soirée avec un triptyque 100 % Bach : la majestueuse Toccata dorienne, une sonate en trio toute en souplesse, et une fugue inspirée du Magnificat — de quoi faire vibrer nef et nuque.
- Isabelle Demers, quant à elle, enchaîne Bach avec une finesse piquée et radicale : Concerto en ré mineur, Fantaisie chromatique et fugue, et même une transcription lumineuse de O Jesu Christ mein Leben’s Licht.
- Benoît Mernier, entre érudition et invention, juxtapose la Fantaisie en do mineur, une relecture croisée du Pange lingua (de Grigny + Mernier, 1699–2014), et une fugue en ré mineur réécrite à partir d’une sonate pour violon solo.
- Enfin, Bernard Foccroulle nous convie à un moment suspendu avec Venables Plays Bach : une installation de 42 haut-parleurs et une performance live tout en lente montée vers un prélude de Bach étiré comme une prière sonore de 30 minutes. Une boucle, un souffle, un rituel, pensée par Philipp Venables.
Un orgue suspendu, des artistes en apesanteur, et le souffle de Bach comme boussole. À chacun de composer sa trajectoire.
L’organetto : Mini-format, maxi-effet
L’organetto est peut-être le plus petit des orgues, mais certainement pas le moins expressif. Reconstitué à partir de manuscrits et de fresques médiévales, ce drôle d’instrument tient dans les bras, se joue d’une main (l’autre pompant l’air, vaillamment), et déploie une finesse de timbre qui ferait pâlir bien des géants à tuyaux.
Ici, on joue à main nue — sans pédalier ni tirants alambiqués — sur un minuscule clavier qui oblige à la précision et à la concentration quasi religieuse. L’organetto évoque immédiatement les âges anciens, mais peut aussi s’aventurer sur des terrains plus audacieux, hybrides, électrisés.
C’est ce que propose Guillermo Pérez, en explorateur de l’âge gothique, avec un répertoire médiéval d’une grande richesse
Cindy Castillo bouscule le petit orgue avec panache : deux créations électro-acoustiques signées Alice Hebborn et Pierre Slinckx, où l’organetto devient cobaye de luxe pour des dialogues en temps réel avec l’électronique live.

