FESTIVAL – À la pointe sud du Var, à quelques mètres des plages méditerranéennes, le festival La Vague classique propose plusieurs concerts qui sont l’occasion d’autant de délicieuses soirées. Telle celle-ci, dans un cadre de verdure, où la violoniste Raphaëlle Moreau et la pianiste Célia Oneto Bensaid déclinent un programme propice à de belles découvertes.
C’est un beau jardin, posé là, au cœur d’un bois où cyprès et oliviers sont rois, et où le chant des cigales ne laisse pas de place au doute : ici, c’est la Provence, oh fada ! Et ici, aussi, c’est la Maison du Cygne, l’un de ces lieux si charmants qui, en plein air, se fait le théâtre des concerts proposés par le festival varois La Vague classique. La Vague classique ? Certes pas le plus connu des événements d’été de la région, quand les voisins s’appellent La Roque d’Anthéron ou les Chorégies d’Orange, mais un rendez-vous qui gagne assurément à être connu, lui qui attire depuis cinq ans les plus grands artistes instrumentaux et lyriques du moment. Et cette année ne fait pas exception : en 23 concerts d’ici septembre, en différents lieux emblématiques de Six-Fours-les-Plages (villa, collégiale, parc…et donc Maison du Cygne), auront ainsi défilé des Gautier et Renaud Capuçon, Bertrand Chamayou, Yulianna Avdeeva, Shani Diluka, Sandrine Piau, Lucas Debargue, ou encore Rolando Vilazon. Who else ?
C’est un beau jardin, donc, qui accueille aussi à l’occasion de jeunes pousses qui n’en sont pourtant pas à leurs premières feuilles de musique, elles qui malgré leur jeune âge ont déjà pris racine sur quelques unes des plus grandes scènes du pays et même d‘ailleurs. Ainsi de Raphaëlle Moreau (dont le frère Edgar s’est aussi produit ici quelques jours plus tôt) et de Célia Oneto Bensaid, deux complices de longue date, unies par un talent commun et par une pareille soif d’exhumer des œuvres méconnues, philosophie dont le récent album Duelles (ed. Mirare) n’est pas le moindre des achèvements. Et c’est bien avec un programme donnant à découvrir des pièces trop longtemps ignorées, que les deux artistes se présentent au public, à la belle étoile, en ce doux soir de juin.
Il suffira d’un cygne
C’est un beau jardin, ainsi, que cet inédit paysage musical peint à la main et à l’archet par deux virtuoses qui font une vraie fleur à leur public du soir en leur donnant à entendre un copieux et mélodieux programme. D’abord, la Sonate posthume de Ravel, œuvre longtemps oubliée avant d’être retrouvée et rejouée plus de trente ans après la mort de son compositeur. Arrive ensuite une autre rareté, une sonate encore, mais signée…Marguerite Canal, un nom oublié pour une postérité pourtant non négligeable, cette compositrice toulousaine du début XXème, prix de Rome en 1920, ayant signé pas moins d’une soixantaine de partitions.
Il y a ensuite Amy Beach, une Américaine dont les rares disques lui étant consacrés donnent à entendre de belles plages, telle cette si tendre Romance que notre duo Moreau – Bensaid joue ici avant de s’attaquer à deux pièces déjà moins confidentielles : le Scherzo signé Brahms de la sonate dite « FAE » (co-composée avec un certain R. Schumann), puis l’incontournable Sonate en ré mineur de Camille Saint-Saëns, plus que jamais ici comme à la maison, lui le compositeur du Cygne.
Et c’est donc là, dans ce beau jardin, à l’ombre d’un majestueux pin parasol et face à une villa de tuiles et de pierres, que violon et piano s’unissent comme jamais, dégageant une majesté sonore qui en vient même à rendre les cigales muettes. Bien sûr, l’acoustique n’est pas celle d’une église, mais le silence n’est pas moins religieux à l’écoute de ce Ravel joué avec la juste expressivité, sans emphase, avec ce qu’il faut de diligence dans les coups d’archets, et de célérité dans les mouvements de mains sur le clavier. Silence de rigueur aussi face à ce chic duo jouant Marguerite Canal comme l’on voudrait honorer une aïeule adorée, avec des nuances idéalement creusées, des tempos précis, et surtout cette manière pour les deux artistes de s’accorder comme des aimants à l’instant de dire la mélancolie, la nostalgie, et une forme de fatalisme aussi (l’œuvre a été écrite au sortir de la Première guerre mondiale).
Plus belle la vie
Alors, dans ce beau jardin, entre un piano d’où sortent des notes dont il voudrait s’enivrer à jamais, et un violon dont les longs et précis coups d’archets sont d’une douceur exquise, le public ne sait plus vraiment qui regarder, faisant le choix de fermer les yeux ou de les tourner vers les étoiles naissantes pour entendre la douce Romance de Beach, mélodie capiteuse ici jouée avec une solennité et une tendresse du plus bel effet, sur le fil d’un andante plus espressivo que jamais. Le tout avec des crescendos tout en retenue, et ces manières de faire chanter les instruments, tel ce violon au vibrato enchanteur où archet et cordes ne se quittent plus, unies pour une vie qui n’en est que plus belle à l’écoute d’une telle partition achevée en un pianissimo extatique.

Pour un peu, dans ce beau jardin soudain plongé dans la nuit, les deux pièces restantes passeraient presque pour des morceaux de complément, tant les sens ont déjà été gâtés. Mais elles constituent plutôt un bouquet final comme un authentique feu d’artifice, notamment cette sonate de Saint-Saëns jouée avec tout ce qu’il faut d’énergie, d’allant rythmique, de sens de l’attaque précise et percutante. D’emblée, un premier motif entêtant du violon, puis un deuxième, imprègne pleinement l’auditeur, qui apprécie autant les coups d’archets enflammés de l’une que les mouvements de mains acrobates de l’autre. Pendant vingt minutes, tout n’est ainsi qu’enchantement et magnétisme, jusqu’au bout d’un Allegro molto à la folle rythmique tenue avec rigueur jusqu’à l’ultime et libérateur accord. Une interprétation définitivement virtuose, pour ne pas dire habitée, qui vaut au duo de chaleureux applaudissements, avant que trois bis (dont un Nocturne de Lili Boulanger et une Sérénade espagnole de Cécile Chaminade arrangée par Fritz Kreisler) ne viennent achever cette belle et bucolique soirée.
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Une soirée vécue dans un beau jardin, dans lequel il ne faut pas hésiter à entrer, car c’est tout vert, mais surtout car d’autres musiciens de prestige vont y défiler, d’ici septembre, au bon air frais des soirs de Provence.

