FESTIVAL – C’est à Floirac, dans les faubourgs de la rive droite bordelaise, que le Festival Pulsations a une nouvelle fois convié le public pour assister aux spectacles lyriques mis en scène de son édition 2025. Retour à la Halle 47, à l’acoustique étonnamment favorable, et dont la chaleur étouffante se prête à l’embrasement que narre la Passion grecque de Bohuslav Martinu adaptée du roman de Nikos Kazantzakis, Le Christ recrucifié.
L’arrivée d’un groupe de réfugiés divise les habitants de Lycovrissi entre ceux – menés par le pope Grigoris – qui refusent de prodiguer leur aide, et les bonnes volontés emmenées par le berger Manolios et ses amis – désignés pour incarner prochainement le Christ et ses apôtres – qui veulent partager leur terre. Cette terre, refusée ou partagée, jonche le sol de la Halle devenue espace de prospérité rurale ou de pur dénuement. Elle est finalement nourrie du sang de Manolios, tué par celui qui devait incarner Judas. Il y a ainsi une adéquation singulière entre le propos de l’œuvre et la Halle 47, espace et volume idéal bien plus que commode plateau scénique.

Christ suicidé : mise en cène
La mise en scène de Juana Inés Cano Restrepo tire habilement parti des contraintes imposées par le lieu. En effet, la profondeur du plateau très étiré permet de proposer des images qui viennent en contrepoint de l’action jouée devant, ainsi l’arrivée brumeuse du village fuyard, et la mort de Manolios, forment de belles images. En outre, la Halle 47 n’est pas étanche à la lumière extérieure, ce qui permet au jour déclinant d’accompagner le déroulé de cette histoire qui se précipite vers la tragédie, magnifique supplétif aux belles lumières de Martin Schwarz. La direction d’acteur est soignée mais certains choix laissent dubitatif : pourquoi commettre un contresens en suicidant Manolios alors qu’il est promis au sacrifice ? Faire de Panaït le souffre-douleur de Yannakos aurait pu être intéressant mais l’idée n’est pas creusée et s’accommode mal de la fusion Panaït/Ladas (un rôle d’avare manipulateur) opérée ici.

Pour investir la Halle 47, il a fallu procéder à quelques aménagements de la partition, dont l’original convoque un effectif pléthorique. Le compositeur Arthur Lavandier a su préserver les couleurs de Martinu et faire le pari de quelques variations radicales – notamment en réduisant certaines interventions à un simple accordéon. Raphaël Pichon donne corps à cet arrangement avec le sens de la couleur qu’on lui connaît, et défend une vision théâtrale. Rançon de cet astucieux parti pris, l’interprétation manque de langueurs et de sensualité mystique.

La Passion au chœur
La distribution participe à la réussite de la soirée par son homogénéité. Matthieu Lécroart (Grigoris) domine un timbre rêche dans une déclamation exemplaire. Au contraire, Fotis, le pope des réfugiés, demande une ligne plus déliée, ce qu’assure le baryton au timbre clair de Thomas Dolié. Marc Mauillon, timbre trompettant et diction exemplaire, campe un Yannakos touchant par sa conversion franche. Antonin Rondepierre semble à contremploi dans le rôle de Panaït qui voudrait plus de noirceur, mais il sait dire le texte en comédien. Lenio est incarnée par Camille Chopin, remarquable par son sens du mot et de l’incarnation amoureuse. Mélissa Petit (Katerina) met plus de temps à trouver le souffle et la ligne puis convainc lors du second face à face avec Manolios, où elle renonce à la chaire, pour un des plus beaux moments de la soirée. C’est à Julien Henric que revient la lourde tâche d’incarner Manolios : il propose un chant tout de subtilités et demi-teintes, moins tourmenté que d’autres et moins interprète qu’à son habitude.
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Les grands triomphateurs de la soirée restent les chœurs, très bien servis par la partition et admirablement préparés par leur chef qui les connait si bien. Ils accueillent parmi eux des amateurs qu’on aurait peine à distinguer tant la réussite vocale est complète.
On souhaite à ce spectacle de sortir de la halle et d’être repris, pour connaître le bel épanouissement auquel il est promis.

