CONCERT – Ce jeudi 9 octobre à l’Auditorium de Dijon, l’Orchestre National de France, aux côtés de Cristian Măcelaru et avec la participation de la grande Joyce DiDonato, offre une programmation dédiée aux couleurs mélodiques et symphoniques de l’autre côté du Rhin.
Un programme assez original, étant donné que, d’habitude, l’ONF a une préférence pour le répertoire national (dixit le programme de salle). Les poèmes symphoniques orchestraux ainsi que les Lieder chantés forment le cœur du répertoire de ce soir : Richard Strauss, Gustav Mahler et sa bien-aimée Alma Mahler.
Strauss : la grande équipée
Le programme, sagement équilibré, prend Strauss pour le début et la fin, avec les poèmes symphoniques Mort et Transfiguration et le grand final de Don Juan. L’orchestre est réuni en vaisseau amiral, avec des musiciens partout sur la vaste mer de l’auditorium : deux harpes toutes voiles dehors, une bardée de cuivres et un équipage de cordes sur le pont.
Strauss est repris par Măcelaru comme une tempête d’émotions, du début à la fin. Le drame est transfiguré pour s’intensifier ou s’emmêler à sa convenance, selon ce qui semble lui plaire à chaque mesure. Les vagues orchestrales emportent le public, visiblement conquis par la rareté d’une musique dont on ne peut prédire la suite à moins de l’avoir déjà entendue.
La fureur orchestrale, dès qu’elle se présente, fait rugir l’auditorium, qui tremble sous la fureur du vent. Personne dans le public ne fait le moindre bruit, et on vous avoue que même nous, spectateurs professionnel, avons eu la chair de poule. À la barre, Măcelaru maîtrise la douceur la plus nette et la force ultime avec précision, et surtout tranquillité. Il garde un contrôle total sur l’équipage, qui connaît bien son capitaine. Il est un leader, pas un supérieur. Dans le final héroïque et surpuissant, l’énergie se décharge en de nombreux éclairs. Le public reste en suspens, sans savoir quoi dire pendant deux secondes après la fin, avant d’applaudir immédiatement dès qu’il a repris ses esprits. On demande à Măcelaru de revenir, ce qu’il ne fera qu’une seule fois avant de faire signe de la main. Il est temps de dormir. C’est le repos des braves.
Joyce DiDonato : la muse et la diva
On rembobine : au centre du programme, la scène se vide : la moitié de l’effectif quitte le plateau. Les vents et les percussions disparaissent. C’est le calme après la première tempête. Dans cet espace plus intime, une figure de proue se lève parmi la brume : Joyce DiDonato apparaît pour incarner d’abord les Lieder d’Alma Mahler, orchestrés par Jorma Panula, puis passer à Gustav Mahler avec les Rückert-Lieder. La voix s’impose contre une orchestration plus légère, dans une bataille contre les éléments, cette fois plus équilibrée.
Fendant le flow
La beauté de l’interprétation de Joyce DiDonato ne réside pas dans la seule perfection d’un timbre lyrique et dans la performance, mais plutôt dans un charisme sensuel qui niche le secret de son sourire dans une déclamation moderne (est-ce qu’on ose dire « populaire » ?), possiblement influencé par le jazz. Elle n’a pas peur des ornements, de la puissance, mais également de mettre sa voix à découvert, montrant sa vraie personnalité. Elle n’a surtout pas peur d’être là, fendant les flots. Et elle nous le fait savoir.
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Dans sa deuxième intervention, troquant sa robe violette façon tenue de soirée pour le rouge intense qui annonce la couleur : avec Mister Mahler, on est de retour à la diva d’Opéra. Les accents populaires disparaissent, et Joyce s’empare des Ruckert-Lieder pour inverser le courant. Elle s’empare de la pointe acérée du compas pour forcer le cap des aigus. La voix est plus lyrique, plus ample, plus armée pour affronter les hauts-fonds de cette musique qui, comme celle de Strauss, a un vent épique en poupe. L’espace d’une soirée, ce fol équipage aura mis Dijon aux abords de la mer du Nord. Et nous voilà rentrés à bon port…

