CONCERT – Pour participer, à sa manière à Octobre Rose, l’Opéra-Theâtre de Limoges organise un concert solidaire où des femmes compositrices sont honorées par des hommes musiciens. Une manière de varier les genres… dans un concert qui varie aussi les styles.
Des messieurs au service de ces dames. Voici bien l’esprit de ce concert événement proposé par l’Opéra-Theâtre de Limoges qui, en partenariat avec la Fondation nationale Banque Populaire, entend prendre part à sa manière à Octobre Rose. À sa manière, c’est-à-dire en musique évidemment, avec un programme mettant tout particulièrement à l’honneur l’art de la composition au féminin.
Musique en tous genres
En découle un programme qui, plus que jamais, a bon genre. Ainsi de ces Quatre Lieder de Fanny Mendelssohn (la sœur de Felix, le compositeur, pas le chat), une partition pleine d’un charme et d’un romantisme dont cette compositrice trop méconnue n’était pas la moindre des ambassadrices au XIXème. Ainsi également, et à la même époque, de ces Trois romances de Clara Schumann, l’épouse de qui l’on sait (vous suivez ?), une autre figure féminine de son temps et de son art, dont la musique est elle aussi empreinte d‘une délicatesse quasi élégiaque, et en tout cas enivrante.

Mais puisqu’il s’agit aussi de donner dans un genre plus moderne, deux compositrices plus proches de notre temps sont également mises à l’honneur. La Britannique Rebecca Clarke, d’abord, dont est ici donné un très tourmenté et mélancolique trio composé au sortir de la Première guerre mondiale, ce qui explique peut-être cela. Puis Camille Pépin, étoile définitivement montante de l’écriture musicale contemporaine, dont est ici donné Rythme d’Automne, pièce de saison certes courte, mais saisissante par ses motifs rythmiques propres à envoûter.
Pas monotone, cet automne
Un programme qui définit un genre d’éclectisme, donc, et qui se trouve ici porté par cinq jeunes musiciens soutenus par diverses fondations et déjà lauréats de fameux concours. Premier à paraître sur scène, le jeune Arthur Hinnewinkel, natif des Etats-Unis mais étudiant depuis longtemps en France, capte d’emblée l’attention par son jeu tout en entrain et sensibilité venant restituer idéalement l’esprit poétique et sentimental des Lieder de madame Mendelssohn. Des mains qui semblent couler sur le clavier, des touches comme délicatement caressées, et une attention toujours portée à la nuance autant qu’à la rythmique : tout concourt à la parfaite exécution d’une pièce que le jeune artiste semble maîtriser…sur le bout des doigts, of course.

Mais puisqu’il ne s’agit pas de faire genre, mais bien d’honorer la musique dans tout ce qu’elle a de plus capiteux, le duo qui paraît ensuite, formé par Loann Fourmental au piano et Vassily Chmykov au violon, s’applique en tous points pour faire pleinement vivre les notes automnales de Camille Pépin. Un automne agité et orageux, en l’espèce : coups d’archet aussi court que vifs, pizzicatis fulgurants, mélodies teintées de tourment, voilà qui ressemble à une véritable musique de film à suspense, une musique tel un récit haletant qui tient perpétuellement en haleine. Et de cette narration palpitante, dont les sonorités rappellent une manière de conquête de l’ouest américain, avec cowboys sur des chevaux fendant les grands espaces, les deux artistes s’emparent donc avec tout l’entrain nécessaire. Avec aussi, tout ce qu’une telle musique, assurément incomparable, requiert d’énergie dans les mouvements de bras et de coordination entre les deux instruments, jusqu’à une ultime mesure qui donne envie de savoir, déjà, à quoi pourrait ressembler un Rythme d’Hiver façon Camille Pépin.
Passion genre

Puis, dans ce programme unique en son genre, et après des romances de Clara Schumann comme une parenthèse rendue enchantée par un duo plus à son aise que jamais, voici venir le trio Nebelmeer pour servir les intérêts de la partition façon épopée de Rebecca Clarke. L’infatigable Loann Fourmental au piano, Arthur Decaris au violon, Florian Pons au violoncelle, tel est le trio de jeunes pépites formé pour faire vivre une œuvre où transpirent des émotions diverses, de la colère à la jubilation en passant par une forme de spleen. Des tableaux sonores dont les musiciens sont ici les peintres appliqués, avec une parfaite coordination dans les départs et fins de phrasés, mais aussi une manière individuelle de savoir vibrer à bon escient, de ralentir le tempo lorsque nécessaire, et de savoir doser ses nuances avec précision. Ce qui est le cas dans un Andante nourri par une vibrante langueur, et plus encore dans un Allegro final évoquant un Chostakovitch version angoissé, avec un violoncelle et un violon portant un même motif par de longs coups d’archets ou de secs pizzicatis, quand le piano use lui de phrases bien plus brèves mais tout aussi graves pour décrire le tumulte général. Et ce jusqu’à un ultime accord sonnant, lui, comme bien plus triomphal.
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Alors, parce qu’il n’est pas dans son genre de contenir son plaisir, le public limougeaud ne peut qu’applaudir chaudement les solidaires artistes de ce concert (dont la recette a été reversée à l’hôpital de Limoges). Ces messieurs, bien sûr, pour leurs talents d’instrumentistes ; et ces dames, pour leur génie créatif, elles qui, dans leur genre, ont su et sauront encore traverser les époques.
Demandez le programme !
- Fanny Mendelssohn – Quatre lieder op.8 (1846)
- C. Pépin – Rythme d’automne (2018)
- C. Schumann – Trois romances op.22 (1853)
- R. Clarke – Trio (1921)

