FESTIVAL – Pour son édition 2025, le festival Pianoscope à Beauvais donne carte blanche à un local de l’étape : Lucas Debargue. Récit d’un concert à pas de loup, à fleur de peau. Le piano à hauteur humaine…
18h30, Maladrerie Saint-Lazare. Les lumières s’adoucissent, le public retient son souffle. Lucas Debargue fait son entrée, silhouette longiligne, allure d’Yves Saint Laurent du piano. Même élégance, même mystère. Une inclinaison du buste, un sourire discret, et déjà il s’assoit. Pas un mot, pas d’introduction : il attaque directement Ravel, rappelant que certaines conversations se passent de préambule.
Sur un fil
Le jeu est d’une souplesse arachnéenne : aucune rigidité, les doigts glissent sur le clavier comme des fils de soie. Debargue semble écouter la musique se prolonger d’elle-même, laissant vibrer chaque conclusion d’œuvre, chaque résolution d’accord, jusqu’à l’ultime fréquence perceptible. C’est un pianiste du silence autant que du son. Les notes deviennent des battements d’ailes de papillon, légères, fragiles, mais d’une précision chirurgicale. Mais celles-ci savent aussi s’armer, peu importe leur place sur le dédale noir et blanc, pour exploser de saveur aux oreilles.
Maille épaisse
La première partie, consacrée à Fauré, installe cette atmosphère suspendue. Cinq pièces pleines de clarté, jouées avec un toucher de velours et un goût rare pour l’équilibre. Puis vient la surprise du soir : une suite originale inspirée du “baRock” (baroque, rock mais pas que) un concept qui, dans les mains de Debargue, prend tout son sens. Les harmonies anciennes se frottent aux syncopes modernes, créant un univers à part. Mais si la performance fascine, elle demande aussi une écoute intense. La densité de l’écriture, la réflexion qu’elle suppose, peuvent fatiguer les oreilles autant qu’elles nourrissent l’esprit.
Derrière les coutures
Et enfin, Debargue livre une interprétation de Scriabine aussi captivante que fragile : l’énergie vacille, la concentration se fissure, la fatigue affleure. Les doigts, parfois hésitants, traduisent moins un défaut qu’une vérité humaine. Cette vulnérabilité donne à la pièce une intensité nouvelle : on y perçoit la lutte derrière la grâce, le souffle d’un musicien au bord du vertige.
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En bis, retour à Fauré “dans une version plus virtuose”, annonce-t-il, rien que cela… Puis une improvisation inspirée, libre et lumineuse. Entre rigueur et abandon, Debargue montre qu’il est autant compositeur qu’interprète, et qu’il n’a pas besoin de parler pour raconter.
On quitte la salle apaisé, l’esprit encore suspendu, comme au réveil d’un songe. Chez Lucas Debargue, la virtuosité respire. Elle écoute, elle touche. C’est un art du velours vibrant, parfois froissé par l’effort, toujours tendu vers la sincérité.
Demandez le programme !
- M. Ravel – Jeux d’eau
- M. Ravel – Sonatine
- G. Fauré – Mazurka en si bémol majeur, Op.32
- G. Fauré – Barcarolle n°9 en la mineur, Op.101
- G. Fauré – Nocturne n°12 en mi mineur, Op.107
- G. Fauré – Impromptu N°5 en fa dièse mineur, Op.102
- G. Fauré – Valse-caprice n°4 en la bémol majeur, Op.62
- L. Debargue – Suite en ré mineur pour Piano (2024)
- A. Scriabine – Sonate n°3 en fa dièse mineur, Op.23

