COMPTE-RENDU – À la Biennale de musique contemporaine de Venise, l’Ensemble Kamigaku rend hommage à leur fondatrice, l’artiste Suédoise multidisciplinaire Catherine Christer Hennix décédée en 2023 et pionnière du style Drone.
Sonorités non identifiées et projecteurs talqués
Au commencement, les spirales laiteuses, une vibration sourde, profonde et ronde, le brouillard dans un temps suspendu. Des présences, des silhouettes discrètes noires aux ombres céladon. Le rubis d’un tapis sur lequel chacune s’assoie, s’allonge, se recroqueville. Des souffles, des relâchements, des silences ondulants, une attente douce et recueillie. Un espace chargé de l’histoire des hommes défini dans son espace par des projections lumineuses, des couleurs, des odeurs. Les regards lissent les poutres de l’ancien entrepôt de l’Arsenal, maintenant baptisé Teatro alle Tese et dédié aux musiques contemporaines. Des poutres, les yeux descendent le long des murs en briques rugueuses, des piliers massifs soutenant la toiture en bateau renversé. Aucun chuchotement. Juste cette vibration-matrice incitant à la méditation. La signature du courant musical Drone. En surplomb, deux musiciens assis et deux chaises encore en accueil, noires sur fond noir. Deux corps aux regards lointains, éternels, fragiles et centrés qui caressent et chauffent doucement les instruments en bambous, des Shō.
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Deux autres musiciens les rejoignent souplement, s’assoient, une trompette aux bouts des doigts. Ils forment un point cardinal entouré de baffles, d’ordinateurs, d’électroniques, mélangeant ainsi Orient et Occident, passé et présent.

C’est Shō !
Dans cet univers de vibrations pourtant lisses, toujours la fréquence bleue, dans laquelle les premiers sons des Shō font échos. Ils sont doux, aux fréquences et vibratos changeants qui procurent une présence subtile d’un temps universel qui s’écoule, des harmoniques interférentes, de douces courbes de timbres. Mais d’oscillations en oscillations, de vague en vague, l’intensité sonore augmente. Elle se ressent corporellement comme une oppression, un malaise qui se dilate en s’emplissant de lui-même. Et toujours en crescendo, de la sérénité vers la douleur, les sons se déchirent, deviennent ennemis, triturés par l’électronique, méconnaissables. Les sons deviennent danses violentes que nul ne peut quitter. Les oreilles du public sont devenues douloureuses, débordées de décibels, leurs cages thoraciques également, jusqu’à l’inquiétude soudain : y’aurait-il un médecin en cas de besoin ? Et advient le point de rupture, le retour progressif à la sagesse du calme, de la réflexion, du sommeil. Ce cycle long revient encore et encore durant deux heures. À chaque fois naît une compréhension enrichie des expériences passées. L’espoir du serein mais aussi la crainte du retour de l’insupportable. Ces états de transes successives ont bouleversé définitivement les perceptions et l’histoire de chacun, publics comme musiciens.


