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Concert cosmique à Venise : chronique d’un explorateur stellaire

BIENNALE – Venise, octobre 2025. Sous les voûtes célestes, une navette argentée glisse silencieusement au-dessus de la lagune. Marco, explorateur stellaire venu il y a très longtemps d’une galaxie lointaine descend, son casque encore imprégné de poussière d’astéroïde. La cité miroitante l’accueille pour la Biennale de musique contemporaine, où le thème de la musique cosmique éveille les imaginaires des terriens et des voyageurs interstellaires.

L’explorateur traverse les ruelles, gagne l’Arsenal, vaste complexe de briques rouges bordé par les canaux, dont les arches s’élèvent comme des portails vers d’autres dimensions. Il monte à bord d’une navette terrestre qui le conduit au Teatro alle Tese. Lieu imprégné d’histoire maritime, l’endroit s’est transformé en un véritable vaisseau spatial acoustique à l’occasion de la Biennale : plongé dans la pénombre et baigné d’une ambiance nébuleuse, un bourdonnement continu enveloppe l’espace. Il façonne une atmosphère aussi mystérieuse qu’impressionnante, suscitant chez le public un profond sentiment de singularité et de solitude face à l’inconnu.

Up in the bell tower : volée de cloches spatiales 

En prélude cosmique, la salle de l’arsenal s’emplit de silence. Soudain, l’œuvre de Luka Aron s’élève. Grâce à la quadriphonie, l’explorateur stellaire perçoit des vibrations de partout : du sol, de la charpente, des profondeurs. Les sons gravitent, dessinent des partitions invisibles entre les voûtes. Des faisceaux lumineux zèbrent l’obscurité, révélant la verticalité des tours et des clochers. 

Dans Up in the bell tower, Luka Aron utilise des enregistrements de sons de cloches captés à Venise, Stockholm et dans sa ville natale dans la Forêt-Noire. Ces « voix » de cloches se mélangent à des séquences numériques et servent de fil conducteur à sa composition. Son objectif est d’explorer les côtés inharmonieux et instables d’un instrument parmi les plus anciens et profondément liés à l’histoire humaine.

LUKA ARON – Up In The Bell Tower © Andrea Avezzù Courtesy La Biennale di Venezia

Son intérêt pour les cloches n’est pas une exception. Luigi Nono et Pierre Henry ont aussi utilisé des sons de cloches dans leurs œuvres pour évoquer Venise. L’auditoire est immergé dans une sonorité donnée où le son devient résonnance, non seulement dans l’espace mais aussi dans notre corps. La musique déploie une architecture sonore où chaque tintement devient étoile, chaque vibration une orbite. L’œuvre ne raconte pas Venise ou une autre ville, elle les métamorphose en constellation vivante. Et Marco les reconnaît toutes.

Silencio : héritage vénitien et futur électronique 

Dans l’interaction entre voix humaines et synthétiques proposée par Moritz von Oswald, Marco croit reconnaître la voix embarquée de Renaissance, son ordinateur de bord. Le choix de la Cappella Marciana, chœur officiant à la Basilique Saint-Marc de Venise, n’a rien d’anodin. Ce chœur héritier des grandes traditions polychorales vénitiennes est capable de dialoguer à distance dans l’espace acoustique. Disposé en 4 groupes de 4 chanteurs (soit 16 voix) répartis dans la salle, il évoque la polychoralité de la musique ancienne, tout en ouvrant la voie à la spatialisation contemporaine. Cette interférence crée des faisceaux sonores qui se croisent, se dissolvent ou s’entrechoquent. 

MORITZ VON OSWALD – Silencio © Andrea Avezzù Courtesy La Biennale di Venezia

Cette version diffère sensiblement de la version initiale réalisée en studio, avec le chœur remixé. La performance en direct introduit des instabilités propres à l’humain, contrastant avec la perfection attendue des machines. Loin d’être des défauts, ces imperfections (équilibres voix/machine par exemple) deviennent la preuve de la vitalité du son, de sa capacité à évoluer selon le contexte et l’instant. Y compris vers une forme de fragilité. Dans le silence éternel des espaces infinis, Marco sait comme la vie est fragile. Il y a du vrai là-dedans.

L’explorateur stellaire perçoit cette interaction comme une rencontre, une fusion entre l’ancien et l’inédit, la tradition terrestre et les promesses du futur. La musique cosmique, dans ce lieu chargé d’histoire, devient le langage universel qui relie la matière et l’esprit, la mémoire et l’inconnu. Et ici, en regardant autour de lui, il prend conscience que chaque être humain présent autour de lui est un explorateur comme lui. Mais la navette qu’ils empruntent est une Biennale, qui offre à la ville des sons venus d’ailleurs.

Lorsque le concert s’achève, Marco regagne son esquif stellaire. Derrière lui, l’Arsenal murmure encore des réminiscences de cloches et de voix mêlées. En quittant la Terre, il comprend que la musique cosmique ne connaît ni frontières ni silence :  elle accompagne chaque voyage, chaque rêve, chaque retour vers l’infini.

Le grand Késako

Up in the bell tower – Luka Aron

La démarche du jeune compositeur allemand s’inscrit dans cette tradition sous un angle phénoménologique (redécouvrir un objet banal sous un angle nouveau) : il examine minutieusement la matière sonore pour proposer un cadre harmonique élargi, incluant des sons subharmoniques qui apportent des nuances supplémentaires à l’ensemble. Il développe ainsi des architectures timbrales variées et explore des combinaisons sonores inédites, dépassant aussi les matériaux conventionnels tels que le fer ou le bronze. L’œuvre est organisée en plusieurs sections qui témoignent d’une grande maîtrise dans la composition, suivant un principe cyclique. On y trouve des repères marquants, comme ces deux cloches (peut-être celles du campanile de San Marco, qui sait ?)  dont le son obsédant apporte un rythme particulier, un effet de balancement bien familier.

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Silencio – Moritz von Oswald

Né à Berlin, Moritz von Oswald s’est imposé comme l’un des pionniers de la techno, tout en cultivant un parcours de percussionniste et de compositeur. Son travail se distingue par la recherche de textures et de rythmes, nourri par l’héritage des musiques électroniques ainsi que pour une fascination pour la plasticité du son. Il s’inspire aussi de Varèse, Ligeti et Xenakis. Avec Silencio, il s’intéresse au dialogue entre voix humaine et machines.

Écrite en 2023, l’œuvre s’inscrit dans la tradition avant-gardiste. Le compositeur questionne la porosité entre l’organique et le synthétique, imaginant le silence, non comme absence mais comme matière première, susceptible d’être modelée par des voix, des percussions et des oscillations électroniques. La composition se déploie en plusieurs mouvements, chacun porteur d’une couleur ou d’une atmosphère propre ; silencio (respiration du cosmos), Luminoso (voix claires et lumineuses), Infinito (résonances prolongées), Colpo (incursion percussive), Volta (boucles vocales et électroniques), Oscuro (tension et dissonances), Silencio. Oswald explore les facettes du cosmos sonore, créant une dramaturgie immersive. 

Silencio © Andrea Avezzù Courtesy La Biennale di Venezia
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