CONCERT – Dans un concert intitulé « Harmonie du soir » comme le poème de Baudelaire, l’Orchestre national d’Île-de-France, dirigé par son chef principal Case Scaglione, remonte les temps et les styles, en trois morceaux, comme trois visions musicales intensément poétiques.
Harmonie du soir
Le concert plonge d’emblée non seulement dans le soir mais dans la nuit, et assurément avec harmonie. Une fois n’est pas coutume, la soirée s’ouvre par les cordes graves de l’orchestre, violoncelles et contrebasses au grand complet. Ces profondeurs sonores servent de point de départ et resteront le socle de toute l’œuvre initiale, mais offriront encore bien davantage : à la fois cœur du morceau et clé, d’écoute comme de lecture (pour l’œuvre et même plus généralement pour ce programme). En effet, c’est en s’inspirant des cordes graves de l’Orchestre national d’Île-de-France, que la compositrice Anna Clyne (née en 1980) a composé pour lui, en tant qu’artiste associée en 2015, cette pièce intitulée This Midnight Hour. Ces graves permettent ainsi d’avancer encore un peu, jusqu’à minuit, le « soir » du poème de Baudelaire, qui donne donc son nom à ce concert, comme il servit d’inspiration (avec La Música de Juan Ramón Jiménez) à Anna Clyne.
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« Voici venir les temps où vibrant sur sa tige
Dans leur tourbillon obstiné de graves harmonies, les cordes profondes dialoguent aussi bien en harmonie avec leurs homologues graves des vents qu’en contraste avec le plus aigu des représentants (la flûte piccolo), avec les percussions pour les accents, avec les bois pour amplifier le mystère poétique.
Chaque fleur s’évapore ainsi qu’un encensoir ;
Pleinement traduite par la clarté du chef d’orchestre et les plans sonores de cette phalange, l’intention de la compositrice montre pleinement son métier : la structure de sa pièce, limpide au point qu’elle pourrait risquer de n’être que conceptuelle, ne l’empêche nullement -au contraire- de déployer les richesses de son orchestration et de son langage pluriel. L’œuvre, en traversant les pupitres, traverse aussi le XXe siècle, dressant un portrait des courants musicaux, d’échos de valses à un usage moderne du timbre, en passant par des richesses mahlériennes. Et comme à toute chose, Mahler est bon, ces influences séquencées se combinent en un langage post-moderne que s’est approprié cette compositrice. Et les deux trompettes placées en stéréo de part et d’autre du fin-fond de la scène de jouer le jour qui s’achève, le jour qui se lève (éloquente métaphore esthétique).
Les sons et les parfums tournent dans l’air du soir ;
Second morceau, seconde musicienne plus qu’à l’honneur : la violoniste néerlandaise Simone Lamsma, bien trop méconnue en France, impressionne déjà avant la moindre note, par sa posture arquée vers l’orchestre, comme si elle allait danser ou chanter le Concerto de Britten. Elle fera les deux par son violon (Stradivarius “Mlynarski” de 1718), en rappelant que la virtuosité consiste non seulement à enchaîner les gestes les plus techniques dans les vitesses les plus effrénées, mais à conserver l’intensité et la cohérence du son pour les mouvements lents, dans tous les temps : à enivrer comme à impressionner, comme Baudelaire fait rimer encensoir et ostensoir.
Valse mélancolique et langoureux vertige !
La logique du programme se sera alors effacée depuis longtemps, et plutôt que de la chercher dans des considérations trop génériques liées à la nature et aux éléments (pour préparer à la Symphonie n°6 « Pastorale » de Beethoven qui conclut le concert), le public se laisse visiblement emporter par chaque pièce et par les dialogues contrastés qui y sont déployés. C’est précisément ce qui fait la force de cet orchestre, jusqu’au début du dernier morceau inclus : l’intensité du travail des nuances cataloguées tout au long du concert vient alors se présenter dans son épure, depuis le pianissimo du bout de la baguette, des pointes des archets, et des souffles nourris intensément pour enfler en crescendi naturels.
[…] Ton souvenir en moi luit comme un ostensoir ! »
Avec un tel programme, le public (qui le prouve par un accueil extrêmement chaleureux) pardonne bien aisément la fatigue qui se fait jour dans les derniers mouvements de la Symphonie, les chants et les contre-champs moins primesautiers, le printemps qui se fane, le tourbillon qui se désynchronise, mais presque comme un rappel que chaque saison et chaque soirée doit aussi s’achever.
Ce concert sera diffusé jeudi 9 février à 20h sur France Musique