COMPTE-RENDU – Roberto Alagna incarne Al Capone, dans la comédie musicale éponyme, pour 90 représentations au théâtre des Folies Bergères. Changement de registre assumé ou erreur de casting ? La réponse ci-dessous…
Un bandit pas manchot
Chicago, fin des années 20. Ville la plus dangereuse des États-Unis, la terreur y règne en maître. En pleine prohibition*, Al Capone, personnage emblématique du crime organisé, contrôle alors 161 bars clandestins, 150 tripots et 22 maisons de passe. Le 14 février 1929, l’affrontement de deux gangs mafieux, l’italien de South Side, dirigé par Al Capone, et l’irlandais de North Side, mené par Bugs Moran, fait sept morts. Arrive alors l’Incorruptible Eliot Ness, agent du Trésor américain. Bien déterminé à faire respecter la prohibition à Chicago, il parviendra à faire arrêter Al Capone… pour fraude fiscale ! Condamné à onze ans de prison et 80 000 dollars d’amende, Capone meurt cinq ans plus tard, à l’âge de 48 ans, dans sa propriété de Palm Island (Miami Beach).
*un amendement à la Constitution des États-Unis interdit la fabrication, le transport, la vente, l’importation et l’exportation de boissons alcoolisées«
De cette histoire vraie, aussi rocambolesque que fascinante et tragique, le guitariste et compositeur Jean-Félis Lalanne va tirer une comédie musicale, tout simplement nommée Al Capone, dont il écrit le texte et la musique.
Le Balafré et l’Incorruptible
Élaborée pendant le confinement, elle se donne actuellement au théâtre des Folies Bergères (Paris), pour 90 représentations jusqu’au 31 mars. Centrée sur l’affrontement entre Capone et Ness, elle évoque également l’importance des liens familiaux et met en scène un amour -inventé- entre la sœur du Balafré et l’Incorruptible.
Les personnages sont bien campés : Capone, tour à tour despote de la pègre et frère attentif au bonheur de sa sœur Rita ; Lili, compagne de Capone en mal d’amour ; Franck, frère et chauffeur de Capone ; Ness, probe et sensible.
Quant à la musique, elle est de bon acabit, oscillant entre fox-trots endiablés et mélodies inspirées, interprétée par des musiciens installés non pas sous mais au-dessus de la scène, pour un effet plutôt réussi. Si les guitares, le saxophone et la batterie sont réels, les cordes sont synthétiques, jouées depuis un clavier. Pour autant, il y a fort à parier que certains airs feront le bonheur des plateformes de téléchargement.
Boas et gilets rayés
Côté mise en scène, ça pêche un peu plus. Les décors sont sommaires, déplacés de manière brusque et sonore. Les lumières sont peu recherchées, les tableaux mal synchronisés et une ventilation envahissante règne sur l’ensemble, augmentant l’effet poussif général. On est loin des chorégraphies réglées au millimètre et des fééries visuelles de Starmania, 42nd Street ou Funny Girl.
Et le plateau, dans tout ça ? Il est bon. Anggun (un album avec Florent Pagny, jury à Mask Singer…), malgré sa voix rauque et des difficultés à monter dans les aigus, incarne avec aisance son personnage de tenancière de maison close au cœur d’artichaut. Bruno Pelletier (Starmania, Notre-Dame de Paris…) est un parfait Eliot Ness, à la voix profonde et servant bien les intentions du texte. Kaïna Blada est une merveilleuse Rita. La fraicheur et l’élasticité de sa voix conviennent à merveille pour le rôle, qu’elle endosse avec grand naturel.
Al(agna) Capone
Reste alors à évoquer le rôle principal, tenu par un ténor du milieu, j’ai nommé Roberto Alagna. On peut, de prime abord, s’étonner de le voir là, après une carrière au top niveau à l’opéra, sur les scènes les plus prestigieuses du monde entier. Et pourtant, c’est lui qui assure le rôle, avec une implication qui force l’admiration, pour les 90 représentations, sans doublure. On en vient alors à se dire qu’il est peut-être là pour son plaisir, celui de se produire sur scène et de garder le contact avec le public.
Si sa voix a perdu deux ou trois tons, laissant à présent apparaître un registre de baryton, elle a gardé toute sa superbe, mettant même en échec la sonorisation !
Convaincant en Al Capone, tiraillé entre sens de la famille et obligations dues à son rang de chef de la pègre, il est tout simplement remarquable de naturel quand il pousse la canzonetta en Italien. Car il s’agirait de ne pas oublier qu’il a des origines siciliennes et qu’il fit ses débuts de musicien en chantant dans les cabarets de la nuit parisienne, pour « des conférences de mafieux« , comme il le dit lui-même… Tous ces éléments le rendent extrêmement attachant et le public répond présent, venu en masse acclamer ce chanteur populaire dans tous les sens du terme.
Al Capone aux Folies Bergères, jusqu’au 31 mars. Toutes les informations sont à retrouver ici.