CONCERT – En l’attente de son grand rendez-vous estival à la programmation toujours fournie, le festival de la Vézère, ici en lien avec L’Empreinte (Scène nationale des communes de Brive-la-Gaillarde et Tulle), poursuit sa saison d’hiver en invitant à une croisière de luxe en direction du Nord de l’Europe. Dépaysement garanti.
Il y a loin de la Corrèze au grand Nord. Des kilomètres par milliers et des frontières à n’en plus finir. Mais là est aussi la magique force de la musique : celle d’abolir les distances autant que les barrières géographiques, offrant à qui veut bien se laisser prendre par la main de pouvoir voyager en de dépaysantes contrées.
Larguez les amarres !
Car c’est bien cela que propose le festival de Vézère en ce doux soir de printemps : une croisière en première classe direction les terres les plus septentrionales qui soient, paradis des fjords et des aurores boréales, une destination visiblement fort attrayante pour un public venu nombreux dans un théâtre de Brive-la-Gaillarde transformé en paquebot de prestige prêt à larguer les amarres. Et puisqu’il faut bien fixer un cap (que dit-on, une péninsule!), c’est vers la Norvège et la Finlande que tout le monde vient embarquer dans le sillage d’un royal équipage.
Aux manettes de cette expédition se trouve d’abord l’Orchestre de chambre de Nouvelle Aquitaine, une formation quadragénaire qui en a vu, du pays, traçant son chemin avec les meilleurs instrumentistes de l’époque (Nicolas Angelich, Renaud Capuçon, Bertrand Chamayou). Il y a aussi la pianiste russe Yulianna Avdeeva, virtuose au sourire d’ange et aux doigts d’or, révélée au grand monde pour avoir gagné le fameux Concours Chopin, la coupe du monde des pianistes, en 2010. Et qui d’autre comme meilleur commandant de bord que Pierre Bleuse, avec son look de viking et son CV long comme une amarre, mentionnant notamment des excursions récurrentes au Danemark (il est depuis un an le chef de l’Orchestre symphonique de la ville d’Odense) et en Finlande. C’est dire si le maestro connaît la route !
Et soudain, un nouveau monde
Mais à peine le temps de faire les présentations que se profilent déjà ces terres scandinaves, magnifiques et saisissantes. La Finlande n’est pas encore là mais, capiteuses et triomphales, les premières notes cuivrées du poème symphonique Finlandia, de Jean Sibelius, font se dresser face à nous ces archipels qui semblent comme flotter sur la mer glaciale et qui paraissent annoncer un nouveau monde empli de mystères. Puis arrivent cordes et bois et alors la nature se révèle, sauvage mais pas si hostile, quand bien même les trompettes, plus sonores que jamais, veulent encore se faire méfiantes et alarmistes. Mais rien n’y fait, le charme des forêts de conifères et des plaines verdoyantes fendues par les eaux opère, des violons exaltés et des timbales glorieuses viennent chanter les louanges de ces terres hospitalières, soulignant que la pièce dont il est ici question est plus qu’une ode symphonique : c’est un hymne, un vrai, à la gloire du grand Nord tout entier.
Du vent dans les voiles
Vient alors l’heure de la première escale sur cette terre qui se présente soudain, avec ses falaises imposantes et ses nuées d’îlots rocheux. Bienvenue en Norvège, ici célébrée par le Concerto pour piano d’un compositeur, Edvard Grieg, signant là une déclaration d’amour enflammée pour son pays de naissance. Et celle-ci se fait sonore, d’emblée, avec ce roulement de timbales et ce piano fougueux et déchaîné, presque orageux, qui dévoile ensuite des teintes bien plus poétiques et lyriques, avec ce chant des bois et des violoncelles qui fait l’effet d’une brise légère propre à se laisser porter. Vient alors l’envie de fermer les yeux ou de de les jeter vers le ciel, pour mieux se laisser enivrer par le jeu fougueux et virtuose d’une Yulianna Avdeeva qui est une guide de luxe.
Par ses mains enchanteresses bondissant sur le clavier se présentent ainsi des paysages vallonnés, des forêts mystérieuses et des montagnes féeriques. Puis viennent ces rivières dont on entend soudain le cours serein dans un Adagio où l’on se laisse volontiers bercer par le dialogue des cors et des violoncelles, et par le récit d’un piano tout en lyrisme passionné. Mais il faut repartir sans tarder, alors voici que le rythme soudain s’accélère car l’envie de tout voir, de balayer des yeux chaque morceau de paysage est tenace, soudain rattrapée par un jeu tout en introspection et par le son éthéré de ces flûtes disant déjà une forme de nostalgie. Les rives norvégiennes s’éloignent mais le piano se refait finalement exalté, comme pour mieux, depuis la promenade, dire au-revoir à un pays pour en découvrir un autre.
Suivez le guide !
Car la voilà enfin, cette Finlande, encensée par les notes d’emblée grisantes de cette Symphonie n°2 de Sibelius. Alors le commandant Pierre Bleuse reprend la main, dictant d’une poigne ferme et de gestes élancés la conduite à suivre à des musiciens disciplinés venant faire honneur à une partition qui est un road book à elle seule. D’abord des les timbales (encore elles) et les cors pour poser un noble décor à la vue des côtes, puis ces flûtes et bassons comme interrogatifs à l’idée de savoir ce que l’on va trouver, là bas, sur ces terres méconnues.
Mais le voile est vite levé : tout n’est que magnificence et largeur d’espace, avec ces sonorités parfois orientales qui disent aussi le dépaysement le plus total. Les contrebasses et leurs notes toujours trop graves invitent-elles à s’avancer prudemment ? Voici que les trompettes, évidemment, invitent au contraire à y aller gaiement, quitte à passer sous ces orages que viennent dépeindre ces crescendos tempétueux. Il faut alors ce somptueux échange entre hautbois et violoncelles pour rappeler que tout n’est ici qu’émerveillement et poésie, ce que vient appuyer un final d’une puissance volcanique. Les voilà enfin, ces aurores boréales, introduites par un tourbillon sonore d’une puissance saisissante, et dont un navire tout entier vient saluer la majesté par de brûlants applaudissements. Le voyage retour pourra bien attendre.