COMPTE-RENDU – En 2011, Jean-François Sivadier, homme de théâtre, mettait en scène La Traviata au festival d’Aix-en-Provence. Douze ans plus tard, cette production se remonte à l’Opéra de Nancy, avec, dans le rôle-titre l’Albanaise Enkeleda Kamani. Une proposition belle et intéressante.
S’étourdir pour oublier
Paris à la Belle Époque. La demi-mondaine Violetta Valéry se noie dans les plaisirs et l’alcool, pour oublier son sort de malade condamnée par la phtisie. Mais l’amour et l’ordre moral, en trouble-fêtes, font irruption dans sa vie. Superbe personnage d’héroïne sacrifiée, créé par Alexandre Dumas fils dans sa Dame aux camélias, Giuseppe Verdi lui a donné valeur d’éternité, dans son opéra La Traviata (la Dévoyée). Une version plus moderne, et non moins réussie, est la comédie musicale Moulin rouge, avec Nicole Kidman et Ewan McGregor :
Rien à jeter, hormis des fleurs
Dans l’opéra de Verdi, tout est beau et magistral : la musique, porteuse des non-dits psychologiques (angoisses, mort qui rôde, stupre, recherche d’élévation, poids de la fatalité…), les ensembles vocaux, les parties pour chœur, le traitement musical de chaque personnage, le déroulé dynamique de l’ensemble, des airs reconnaissables entre mille… La partition de La Traviata est vraiment un chef-d’œuvre, qui pourrait décourager plus d’un metteur en scène de vouloir s’en emparer.
Un parti-pris théâtral
Qu’à cela ne tienne. Jean-François Sivadier, homme de théâtre habitué aux mises en scènes d’opéras, proposa, en 2011 pour le festival d’Aix-en-Provence, une version « théâtre de tréteaux » d’une œuvre pourtant plus habituée à des mises en scènes opulentes et fastueuses, façon chroniques mondaines à la Marcel Proust. L’intention de Sivadier était, selon ses propres termes, de « partir du geste de Verdi » : mettre en valeur la musique et non point rivaliser avec elle. Ce qui, pour lui, signifiait recentrer son travail sur les personnes sur scène, sur le jeu des acteurs, les chanteurs ne devant pas se sentir pris dans une image, un tableau, mais réellement être en train de jouer leur rôle.
Au moment de la création de cette mise en scène au festival d’Aix-en-Provence, en 2011, cette production, avec Nathalie Dessay dans le rôle-titre, s’était également donnée à l’Opéra de Dijon, dont le directeur de l’époque avait alors comme collaborateur un certain Matthieu Dussouillez, actuel directeur de l’Opéra de Nancy.
Prima la musica

C’est à sa demande que la mise en scène de Sivadier a été remontée, plus de dix ans après. Adieu, donc, riches tentures, éclairages multiples ou encore changements de décors à vue. Bonjour déplacements incessants des premiers rôles et des figurants (choristes), jeux de tissus tendus un peu pauvrets pour figurer le ciel, le jardin ou la chambre à coucher, mobilier réduit à sa plus simple expression, fourmillement important de nombreux détails (lever ou baisser de lustres, déplacement de chaises, gestuelle de chaque personne sur scène travaillée au millimètre…). Tout cela pour un résultat qui, s’il frôle parfois le spectacle de patronage, a le mérite indéniable de ramener le spectateur à l’essence de l’œuvre : le déroulé du drame généré par la musique.
De l’avantage du passage aux vestiaires
Pour cette reprise nancéenne, les rôles-titres, tous très jeunes, avec une prise de rôle pour l’Albanaise Enkeleda Kamani qui interprétait Violetta, ont vraiment fait le job, avec solidité vocale, justesse scénique et sincérité émotionnelle. Le chœur et l’orchestre de l’Opéra de Lorraine furent, comme à leur habitude, de fiables serviteurs de la partition, menés par la baguette prudente et efficace de Marta Gardolinska.
Pour autant, il aura fallu attendre la deuxième partie de l’opéra, après le passage aux vestiaires, euh… l’entracte, pour voir les éléments enfin s’agréger : acuité plus précise des déplacements, jus musical plus puissant, libération des voix, dynamique dramatique de l’ensemble renforcée, le tout œuvrant à un final saisissant d’émotion et de spontanéité.