FESTIVAL – L’air de rien, dans une tenue du dimanche qui évoque plutôt la sortie du lit que la sortie de messe, un Jean Rondeau tout en décontraction s’avance dans l’allée centrale de la salle capitulaire de l’abbatiale de Saintes, transformée en auditorium pour le bonheur des festivaliers attirés par l’ambiance d’un concert en matinée, et d’un programme qui parle tout seul : les Variations Goldberg. Clavecin seul, donc.
Variations virales
Il va falloir tenir la longueur de ce monolithe de la musique transformé en must have par Glenn Gould dans les années 1950. Et, bien sûr, chercher une fois de plus la nouveauté dans une œuvre qu’une bonne partie du public saurait fredonner de la première mesure à la dernière, tant ils se la sont repassé avant de venir, et peut-être plusieurs fois par an sur leurs enceintes. Rien que cette année, entre le piano, le clavecin et les transcriptions, on compte une dizaine de Variations Goldberg : Fazil Say, Jean-Luc Ho, Zhu Xiao-Mei etc. Sans parler des concerts ! Et donc, depuis un an, Jean Rondeau, dont l’enregistrement de l’œuvre mythique est paru en février 2022, en pleine pandémie de variants..euh pardon ! De Variations…
Garder la ligne
Alors, comment varier les Variations ? Et, précisément, faut-il les varier ? Est-ce que le propre de cet élixir de Bach n’est pas justement de parler tout seul et d’être suffisamment difficile pour que sa simple exécution soit un exploit en soi, dans le respect de la partition ? C’est peut-être le premier message de Jean Rondeau au public du festival de Saintes : pas de fioriture, pas de réécriture romantique, pas de rubato et pas de pauses inutiles. Les Variations à la Rondeau sont un exercice de dialogue à sens unique entre l’esprit de leur auteur et nos oreilles. L’ornementation n’est là que pour enrichir la phrase de trilles d’une limpidité totale et d’une fluidité qui laisserait penser qu’ils sont intégrés au discours. Même dans les graves, que Jean Rondeau fait sonner sans effort grâce à une main gauche, souple et agile, la phrase ne souffre quasiment d’aucun bégaiement métronomique. La technique au service de la musique : l’esprit de Bach est là, constant du début à la fin.
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Bach tantrique
Il a pris son temps. Près de dix ans après sa révélation au public et la signature de son premier contrat chez Erato, Jean Rondeau ose enfin livrer le fruit de son travail sur les Variation Goldberg. Parce qu’il est un claviériste forcené, une bête expressive qui cherche le diable dans les moindres détails d’une partition qui en regorge, sa version est peut-être une des plus plus longues jamais données. Chaque reprise écrite est jouée et rien ne nous est passé, rien survolé. Tout est pesé, surtout dans les passages lents et les variations en mineur. On prend son temps pour creuser le plaisir de l’harmonie dans sa profondeur. Un Bach tantrique si on veut. Près d’une heure quarante après le début du concert, le public un peu grogui sort de l’obscurité de l’auditorium de l’Abbaye aux Dames, édifié par le nouveau récit qui vient de leur être fait. Un petit Pineau pour s’en remettre, et on est repartis pour un tour ! Direction Le Consort, à lire demain sur nos pages.