CONCERT – Le chef-d’œuvre de Vivaldi fait peau neuve au Château de Versailles. C’est dans le cadre à la fois intimiste et grandiose de l’Opéra Royal du Palais de Versailles que quelques happy few ont eu le privilège de (re)découvrir Les Quatre Saisons, exposées aux quatre vents (ou plutôt aux quatre cordes) de l’Orchestre de l’Opéra Royal sous la direction de Stefan Plewniak.
A l’Horée d’une réécriture
Véritablement intégré à une forme de pop culture (qui n’a jamais subi l’attente interminable d’un conseiller téléphonique sur les notes grésillantes de l’ouverture du Printemps ?), Les Quatre Saisons de Vivaldi n’en sont pas moins un incontournable du genre baroque. Hymne universel à la nature publié en 1725, à Amsterdam par Michel Le Cène, les quatre premiers concertos de La confrontation entre l’harmonie et l’invention avaient grand besoin de se réinventer.
Et qui de mieux que Stefan Plewniak, violoniste et chef d’orchestre diplômé des universités de Cracovie, Prague, Maastricht et Paris pour accomplir cette prouesse ? C’est dans un tourbillon de tissu (celui de sa longue tunique) que le maestro mène ses quatorze musiciens par le crin de son archet. Celui qui a toujours mis l’Histoire et la méticulosité au cœur de son travail, revient ici à la source de la partition du maître italien : le rythme. Attrapant les notes au vol et les suivant principalement de mémoire (sans jeter un œil sur son pupitre), Plewniak interprète les airs de ce classique parmi les classiques à la limite d’une désharmonie maîtrisée, renvoyant parfois à ce qui pourrait être une pièce contemporaine dans son interprétation, mais aussi dans sa direction des autres musiciens. On notera notamment l’interprétation presque jazz de L’Hiver par la contrebasse, Davide Vittone.
Une partition couleur du temps
On les verrait presque se succéder sur scène : le printemps, l’été, l’automne et l’hiver. Revenant à quelque chose de primaire, d’organique, l’Orchestre de l’Opéra Royal rend à chaque saison ce qui lui est dû. Le Printemps, la plus connue des quatre compositions, est virevoltant et nostalgique à la fois, chargé du poids d’un lourd recommencement. Son rythme sautillant est équilibré par une technicité remarquable que l’on retrouvera tout le long du concert. Avec le clavecin, le soleil frappe soudain la salle et l’été s’installe. Un moment marqué par des transitions parfaites et des envolées lyrique exaltantes. Puis, la lente tragédie de l’automne s’installe : dure, anguleuse, cette complainte mélancolique est ponctuée de grondements presque chtoniens qui laisseront place à une clarté hivernale. Plewniak donne une place de choix à L’Hiver, explorant toute la complexité de cette saison de l’hibernation et de la régénérescence. Son rythme binaire souligné par l’interprétation nuancée des musiciens rend parfaitement le roulement infini et presque magique de la saison hivernale (appuyé par l’introduction de Cécile Cartrain à l’orgue et de Michaela Hrabankova au hautbois qui participent de ce sentiment presque mystique).
Dans la ronde d’une Bacchanale
C’est dans une mise en scène des plus humbles et aériennes que Stefan Plewniak choisi de rendre hommage au compositeur italien : les quinze musiciens forment un arc de cercle sur la petite scène de l’Opéra Royal, se préoccupant moins de faire face au public, que de pouvoir communiquer entre eux par un jeu de regards.
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Une fois n’est pas coutume, ceux qui le peuvent sont debout, interprétant les morceaux avec leurs instruments autant qu’avec leurs corps. Comme dans la danse, leurs airs sont rythmés par la respiration : celle de Stefan Plewniak dont les inspirations marquent le tempo. Ce dernier, pris dans une sorte de transe, joue les yeux fermés, habité par la musique. Dans une tension corporelle presque palpable, les corps des violons et des altos se tordent et s’arcboutent selon les airs qu’ils interprètent, leurs vêtements noirs soulignant leur dynamique de groupe : c’est dans la différence et dans la dissonance qu’ils trouvent l’harmonie parfaite.
En bref…
Le grand-œuvre de Vivaldi qui rythme nos vies par messageries interposées est sublimé par une réinvention fidèle dans l’essence, mais libre dans l’exécution. Stefan Plewniak met en scène une véritable valse à mille temps qui emporte son public dans un tourbillon d’émotions. Une fraîcheur qui fait du bien sous ces chaleurs estivales, à retrouver bientôt en CD sous le label Château de Versailles Spectacles !