FESTIVAL – Les Heures Musicales de l’Abbaye de Lessay fêtent leurs 30 ans et pour cette occasion proposent une programmation prestigieuse où chaque concert est pensé comme une fête. Retour sur la soirée du 11 août, en clôture de cette édition exceptionnelle.
Pour clôturer cette saison, le Poème Harmonique dirigé par Vincent Dumestre et le chœur de la compagnie la Tempête (direction Simon-Pierre Bestion) reconstituent les Noces Royales de Louis XIV avec l’Infante d’Espagne et invite tout aussi bien la Cour (mécènes, élus et personnalités) que le peuple venu très nombreux des contrées normandes et voisines à s’unir pour cette grande fête sans pareille.
Bien que la Tempête soit dans l’abbaye, des trombes d’eau se sont abattues au moment de l’arrivée du public mais grâce à l’organisation sans faille des membres du festival, la cérémonie commencera à l’heure. Belle victoire sur les ondins !
L’union fait la paix
Tout au long du règne de Louis XIV, nombreux sont les prologues des opéras vantant son triomphe et ses mérites. Pourtant, ce règne ne fut pas un long fleuve tranquille, parsemé de guerres pour toujours agrandir son royaume, entre autre avec l’Espagne. En 1659, Louis XIV accepte bon grès, mal grès, de respecter une clause du traité des Pyrénées fixant les frontières entre les deux pays après 25 ans de guerre : épouser l’Infante d’Espagne, Marie-Thérèse d’Autriche, qui n’est autre que sa cousine germaine ! Ce mariage avait pour unique but de rapprocher la France et l’Espagne : d’ailleurs, Louis ne connaît sa femme que depuis 3 jours et cette dernière ne parle pas un mot de français… L’Infante apporte aussi une dote de 500 000 écus d’or, somme qui ne sera jamais réglée, servant alors de prétexte à déclencher une nouvelle guerre lors de la mort du roi d’Espagne, Philippe IV.
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Ces Noces, complotées par Mazarin, entraînèrent des fêtes éclatantes le 9 juin 1660 à Saint-Jean-de-Luz mais également pendant plusieurs mois, le temps que le couple royal remonte jusqu’au Louvre, escorté d’une caravane de plusieurs milliers de personnes.
L’union fait la fête
Comme le souligne Vincent Dumestre, interpréter toutes les musiques occasionnées par ces Noces prendrait l’intégralité du festival ! Ainsi propose-t-il des variations libres autour de ces noces royales : une sélection de musiques qui auraient pu accompagner les fêtes occasionnées. On raconte que le peuple était en liesse. Partout avaient lieu des spectacles, des feux d’artifice, des musiques en tout genre pour célébrer les jeunes mariés.
Sonnez tambours, résonnez trompettes
Lulli, le bon copain du roi, débute les réjouissances avec un appel solennel des trompettes, cornets, tambours retentissant à divers endroits de l’abbaye, suivi de trois danses pour ouvrir le bal ; une française à la rythmique pointée majestueuse, une espagnole légère au son des castagnettes, une basque à l’allégresse populaire.
Les choses sérieuses commencent avec le grand motet pour la paix Jubilate Deo, en 5 parties à la gloire de Dieu (c’est le 1er motet religieux du jeune compositeur).
Marions-les !
Le Magnificat à 7 voix de Cavalli célèbre le mariage avec joie et flamboie dans tout l’édifice. Le choix de Cavalli n’est pas un hasard ; invité par Mazarin aux Noces Royales, il restera un temps en France, apportant avec lui l’art de la polychoralité (plusieurs choeurs se répondent dans une même église) hérité de ses années passées à la Basilique Saint-Marc de Venise.
Réjouissances pour tous
Pour poursuivre la fête, quelques airs de musiciens contemporains s’enchaînent, air d’opéra, air à boire, air sur la paix et le mariage du Roy (Ô France de Nicolas Metru). Le spectacle se termine sur un air à l’entrain irrésistible, extrait d’un opéra du compositeur espagnol Juan Hidalgo.
Ce programme unit sacré et profane, savant et populaire, latin, français, italien et espagnol, servis par un enchantement sonore et des phrasés toujours au service du mot et de la dimension narrative faisant de cette leçon d’histoire une fête de la musique.
L’union fait la Force
Côté chanteurs, les 5 solistes redoublent d’attention entre eux afin de s’entendre et de mettre en concordance leurs interventions dans un édifice à l’acoustique peu réverbérante. Chacun apporte sa pierre à l’édifice. La soprano portugaise Ana Quintans prête sa voix ronde au timbre somptueux dans le Jubilate Deo de Lulli, Victoire Bunel déploie ses talents de tragédienne dans l’air « lasciate mi morire » (Xerse de Cavalli) : avec aisance, un soutien jusqu’au bout des phrases, un souci de colorer les mots différemment à chaque reprise offrant un pur moment d’émotion. La voix lumineuse et sonore du haute-contre (ténor aigu avec une voix de tête utilisée pour le haut de la tessiture) David Tricou convient bien pour ce répertoire. Le ténor Serge Goubioud, peu présent dans le motet de Lully, se révèle dans le Magnificat de Cavalli avec une voix claire, bien projetée, aisée. Il s’amuse avec son compère Virgile Ancely dans la chanson à boire : Après une si longue guerre de André de Rosiers. La basse Virgile Ancely de sa voix timbrée à l’émission agile propose de belles interventions dans le Magnificat et assure son rôle de soutien dans les ensembles.
Le chœur La Tempête est étonnant et confirme le prix Liliane Betancourt obtenu en 2022. D’une grande homogénéité, il est d’une précision sans faille dans les rythmiques changeantes du Magnificat. Les départs sont toujours émis avec assurance dans cette œuvre à 7 voix. Il offre un remarquable hymne O filii e filiae (Jean Viellot), avec quelques instrumentistes de l’orchestre, remontant la nef telle une procession de pénitents comme il en existait en Occitanie à l’époque. Plusieurs membres du chœur rejoignent les solistes en avant-scène pour la réjouissance finale (la chanson espagnole) puis l’intégralité du chœur dans le 2ème bis, une chacone populaire espagnole.
Enfin l’orchestre constitué d’une pléiade d’excellents musiciens s’associe aux réjouissances sous la direction précise et attentive du maître de cérémonie, Vincent Dumestre. Les changements d’ambiance, de registres sont assurés, permettant l’équilibre entre brillance apportée par les cornettistes, sonorités séduisantes des cordes et des bois, douceur des violes et de la harpe, touche pittoresque des percussions.
Après sa création sur les lieux du mariage à St-Jean de Luz, une représentation au château de Versailles, c’est un nouvel essai transformé à l’abbaye de Lessay avec un public conquis qui applaudit longuement ce spectacle porteur d’un espoir, celui d’un monde où l’union des nations serait porteuse de Paix.
En bis, Vincent Dumestre propose l’Agnus Dei de la messe de Marc-Antoine Charpentier puis une chacone populaire espagnole. Belle façon de rester dans le thème.
L’annonce du décès de Virgile Ancely m’attriste beaucoup.
J’aime le timbre si particulier de sa voix.
Le souvenir de ce concert dans L’Eglise de Saint-Jean-de-Luz.dans le mariage imaginé par Vincent Dumestre évoque évidemment sa participation à une soirée éblouissante.
Il nous reste les enregistrements
Merci pour tous ces cadeaux de musique. Andrée Jeanne Betouret