DANSE – On pourrait croire,d’après leur nom, que (La) Horde regroupe un grand nombre d’artistes. En fait, ils sont seulement trois trentenaires aux manettes : Marine Brutti, Jonathan Debrouwer et Arthur Harel. Fondé en 2011 à Paris, le collectif (La) Horde acquiert une reconnaissance immédiate en 2016 avec To Da Bone, une pièce choc de 10 min qui analyse les « hard dances » et les séquences de « jumpstyle », ces danses échangées sur internet.
En 2019, ce collectif prend la direction du CNN Ballet national de Marseille, passant de zéro subvention à un budget confortable d’une compagnie permanente d’une vingtaine de danseurs. Mais leur succès ne s’arrête pas là. Repoussant sans cesse les frontières de la danse, leurs spectacles continuent de faire salle comble en interrogeant sur la portée politique de la danse dans le monde actuel. Créé en 2018, Marry me in Bassiani n’échappe pas à cette règle et revient aujourd’hui dans la nouvelle salle du Théâtre de la Ville.
Géorgiens, géorgiennes
En 2018, (La) Horde rencontre pour la première fois l’ensemble Iveroni, une compagnie qui pratique les danses traditionnelles géorgiennes. Ensemble ils vont créer le spectacle « Marry me in Bassiani » présenté en ouverture du Summerfestival de Hamburg, véritable triomphe qui va asseoir leur renommée internationale dans une danse à la fois politique et contestataire. La danse peut être un moyen parfait de se rebeller contre l’autorité mais aussi un liant national de propagande politique comme l’a beaucoup utilisé l’Union soviétique. En effet « Bassiani » n’est pas le nom d’un village tranquille perdu au fin fond de l’Europe Centrale, mais le nom d’un club underground de Tbilissi, capitale de la Géorgie. Un lieu nocturne, où la communauté LGBT géorgienne se retrouve pour danser sur de la musique techno.
En mai 2018, pour contester contre une descente musclée de l’armée géorgienne dans ce club et la menace de sa fermeture, une rave spontanée de dix mille personnes est alors organisée devant le parlement de Tbilissi. La jeunesse géorgienne éprise de liberté proteste contre les forces conservatrices du pays (gouvernement, église orthodoxe, groupes d’extrême droite) : « We dance together, we fight together » comme l’indiquaient leurs panneaux. En 2023, la situation politique actuelle a changé depuis l’invasion de l’Ukraine par la Russie et la Géorgie, elle aussi ancienne république de l’Union soviétique, se sent aussi menacée, d’où une inquiétude grandissante chez les Géorgiens.
Marry me in Bassiani :
Ça part d’une histoire banale, celle d’un mariage traditionnel en Géorgie. Ça devrait être le plus beau jour de la vie de ce jeune couple, et pourtant ils tirent une tronche d’enterrement. Une grande table de banquet couverte de fleurs et de dentelles est dressée avec, au milieu, le père de la mariée, qui impose son pouvoir. Il faut dire que le père est magistralement interprété par le maître de ballet Kakhaber Mchedlidze, qui bouge avec une grâce infinie.
Derrière eux se dresse un bâtiment : celui d’un parlement avec ses escaliers imposants et juste devant une statue de roi cavalier du Moyen-Âge. La mariée, éblouissante dans une robe à paillettes argentée et une côte de maille sur la tête cachant ses cheveux, se fond dans le décor telle une statue, le regard absent, plus spectatrice qu’actrice de son destin. Elle pourrait être mariée de force à cet homme par son père. Aucun regard tendre pour son époux habillé de noir qui participe aux festivités : danses traditionnelles et duels au sabre. Ça virevolte et ça saute de tous les côtés pour notre plus grand bonheur : une danse bondissante et bouillonnante qui commence sur une musique traditionnelle pour déraper sur un rythme techno. On ne sait plus qui regarder et à quelle danse se raccrocher.
Les femmes font des petits pas sur demi-pointes,en référence au classique. Les hommes sont plus dans le combat et les grands jetés qui pourraient faire pâlir les danseurs étoiles. C’est l’occasion de voir des pas de danse que nous n’avons jamais eu l’occasion de voir ailleurs, par une troupe de quinze danseurs traditionnels. Des scènes hors du temps, comme ce moment où tous les invités, après avoir embrassé la mariée, se glissent sous sa robe. Puis la mariée se rebelle, décapite la statue du roi et fuit, entraînant avec elle ses invités, qui prennent d’assaut le parlement. On en a presque oublié le mariage du début, lorsque les invités détruisent les éléments du décor, synonymes du passé, pour construire un nouveau présent. La scène finale est d’une puissance incroyable, à couper le souffle, entre ralentissement, accélération et une mariée qui court cheveux détachés tandis que ses invités en duo ralentissent le pas car l’un porte l’autre comme un cadavre.
Cinq années après sa création, Marry me in Biassiani reste toujours d’actualité. C’est également un choc chorégraphique d’une puissance scénique incroyable, qui allie danse folklorique géorgienne et danse contemporaine techno. La danse peut raconter une histoire à travers des corps qui contestent un régime politique. Le message est d’autant plus fort que ce sont ces danseurs géorgiens qui expriment leur mécontentement. Au vu du succès, il y a fort à parier que le spectacle reviendra bientôt sur la scène parisienne.