COMPTE-RENDU – D’un pas long et souple, la mezzo-soprano Marina Viotti gravit actuellement quatre à quatre les marches de la notoriété. Sa prise de rôle dans Carmen, dimanche dernier au Théâtre des Champs-Elysées, vient poser une évidence : une diva est en train de naître.
Elle a tout d’une grande

En février dernier, les votants aux Victoires de la musique classique nommaient la mezzo-soprano Marina Viotti Artiste lyrique de l’année. Rien que ça. Même pas Révélation artiste lyrique ; non, tout de suite la première place. Depuis, l’actualité musicale leur a donné raison : un très beau disque, Porque existe otro querer, personnel et original, avec le guitariste Gabriel Bianco, des débuts remarqués à l’Opéra de Paris, dans le rôle de Stefano dans le Roméo et Juliette de Gounod magnifiquement mis en scène par Thomas Jolly ou encore un livre d’échanges très intéressant, Et si le monde était un opéra ?, avec la philosophe Gabrielle Halpern, sur la nécessaire hybridation des idées et des actions (chronique à suivre).
Retrouvez ici la playlist de la mezzo-soprano Marina Viotti
Ses atouts ?
- Une voix longue, chaude et profonde, entraînée au métal dans sa jeunesse (si si !), qu’elle sait modeler à loisir, avec des possibilités qu’on sent encore inexploitées.
- Un jeu de scène athlétique et souple qui peut se faire, selon les rôles, aguicheur ou menaçant.
- Une diction précise tout en étant charnue.
- Seule une grande travailleuse, dotée d’une capacité de mémoire lui permettant d’assumer des rôles importants et sachant allier sérieux dans les engagements professionnels et détente dans les moments off, peut construire ainsi sa carrière.
Une prise de rôle capitale
Sa prise de rôle dans Carmen, dimanche dernier au Théâtre des Champs-Élysées, est venue, avec bonheur, confirmer ces augures. Une prise de rôle certes particulière : une seule répétition (et oui !) pour une représentation unique et non représentée (sans mise en scène, en simple version de concert). Sachant qu’elle sera la prochaine Carmen du Théâtre de Zürich, en avril prochain, ce « one shot » au TCE fut finalement un galop d’essai avant le plongeon dans le grand bain. Un coup d’essai transformé en coup de maître.
Généreuse et s’en sentant suffisamment capable elle avait accepté, au pied levé, de remplacer Marianne Crebassa pour cette unique représentation. Une date parisienne qui venait conclure une série de représentation, dans des décors et costumes recréant ceux de l’époque de la création de l’oeuvre, à l’Opéra de Rouen, grâce au généreux soutient de la Fondation Bru Zane (retrouvez ici la critique qu’en fit notre confrère d’Ôlyrix).
Une belle équipe artistique
Sur le devant de la scène du Théâtre des Champs-Élysées, Marina Viotti s’est avancée, d’un pas tranquille et sûr, tablette à la main et fleur dans les cheveux pour, au pupitre, incarner cette Gitane, libre et fière, revendiquant d’aimer et d’agir à sa guise. Un sujet toujours d’une incroyable modernité. À ses côtés figurait un casting solide et séduisant, mené, pour le glamour et le drame, par un Stanislas de Barbeyrac (Don José) terriblement convaincant.
Mais aussi Jérôme Boutillier en Escamillo (bravache et fanfaron comme il se doit mais également subtil), Iulia Maria Dan en Micaëla (un beau timbre, lumineux et intense, pour un personnage empli de gravité et d’élégance, loin de la personne mièvre et défaitiste habituelle), le généreux soprano de Faustine de Monès pour une Frasquita flamboyante, le mezzo profond de Floriane Hasler pour une Mercédès complice et engagée, deux contrebandiers formidables, Florent Karrer et Thomas Morris, et enfin Nicolas Brooymans et Yoann Dubruque, pour deux officiers de l’entourage de Don José, en pendant aux deux Gitanes amies de Carmen, Frasquita et Mercédès.
À la baguette et sur scène, derrière les chanteurs en avant-scène, on retrouvait, en provenance directe de la préfecture de Seine-Maritime, Ben Glassberg, l’Orchestre de l’Opéra de Rouen Normandie, des membres du choeur Accentus et l’Opéra de Rouen Normandie ainsi que quelques chanteurs de la Maîtrise du Conservatoire à rayonnement régional de Rouen.
Viva Viotti
Animés d’un bel esprit collectif, ces protagonistes ont su déployer les subtilités de cette partition unique : la beauté de son écriture musicale mais aussi l’intensité de sa montée en puissance vers son drame final. Quant à Marina Viotti, même si un peu trop, par prudence sans doute, accrochée à sa tablette, elle a laissé entendre et voir, au public, son potentiel, vocal et scénique, pour ce rôle. Maîtresse du tempo -imposant notamment une Habanera magnifiquement lente- elle a pratiqué un jeu de séduction tout en suggestion, fait de légères mimiques du visage et de discrètes -mais efficaces- ondulations des anches. Il y a fort à parier qu’à Zürich, avec Gianandrea Noseda à la baguette et Andreas Homoki à la mise en scène, sa Carmen sera intense et éclatante !
On peut alors fredonner tout à loisir, non seulement « Viva Escamillo » mais également « Viva Viotti » !