DANSE – 50 ans après avoir créé sa compagnie ROSAS, la dernière création de la grande chorégraphe belge Anne Teresa de Keersmaeker continue sa tournée et arrive sur Paris après Avignon et Rome. Elle revient avec une proposition complètement foutraque et clivante : une soirée qui part en vrille…
Dans ce spectacle, apparemment elle remonte aux sources de la pop occidentale et creuse sa danse jusqu’à arriver à ce mouvement primaire de l’être humain qu’est la marche. On sait tous qu’Anne Teresa de Keersmaeker ancre ses chorégraphies dans la musique, qu’elle soit contemporaine, pop ou jazz. Aujourd’hui elle place au centre le blues, et plus particulièrement la chanson Walking Blues du légendaire bluesman afro-américain Robert Johnson. Au début elle voulait travailler sur la musique d’ABBA en tant que maître incontesté de la culture pop, mais n’ayant pas eu les droits, elle a cherché les racines du pop et l’a trouvé dans le blues et la culture afro-américaine.
Cette pièce comprend donc des chansons sur de la musique jouée en live par un trio qui se fond complètement dans la troupe : le musicien du groupe belge culte des années 1980 TC Matic, Jean-Marie Aerts, la jeune chanteuse et compositrice Meskerem Meese et Carlos Garbin, un danseur du Rosas, guitariste à ses heures perdues. Ils ont composé des « Walking Songs » et la danse est venue ensuite autour de la marche : « marcher seul, marcher en groupe, marcher en formation militaire, marche des moutons, des cheveux …. ». Bref, vous l’avez compris, la marche vue sur tous les angles sur une musique d’un peu de tous les styles. Alors forcément il y a du bon, du très bon mais aussi du très mauvais.
Souffle court
Le spectacle commence par « Il existe un tableau de Klee qui s’intitule Angelus Novus. Il représente un ange qui semble s’éloigner de quelque chose qu’il fixe de son regard (…) Du paradis souffle une tempête, cette tempête est ce que nous appelons le progrès ». Ce tableau a été rendu célèbre par son propriétaire, philosophe et critique d’art allemand Walter Benjamin. Et aujourd’hui Anne Teresa de Keersmaeker a pris le pari de l’illustrer par un danseur magnifique, Solal Mariotte, aux boucles blondes d’un ange tombé du ciel.
Il saute, bondit et chute avec tellement d’aisance qu’il semble incarner l’ange de Klee qui s’envole mais peut chuter si ses ailes s’emmêlent. L’effet scénique est magnifique : une bâche très fine flotte au-dessus de lui et des autres danseurs grâce à une soufflerie et annonce cette fameuse tempête. Et on se dit que le spectacle commence bien par ce visuel magnifique. Mais malheureusement l’enchantement de la bâche passé, la musique devient lente et on commence à s’endormir à voir ses danseurs marcher et marcher sans but, sans rythme, ne sachant ce qu’ils font. On en finit par se demander s’ils suivent ou non les lignes colorées au sol.
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Apareillés, dépareillés
La scénographie est épurée, comme toujours chez de Keersmaeker : au sol des formes géométriques, des cercles, des triangles de toutes les couleurs, un peu comme des gribouillages d’enfants. On se dit que les danseurs vont marcher dessus, mais même pas. Ces gribouillages ne servent donc à rien ? Enfin c’est ce que pense le spectateur. Et puis c’est quoi ces costumes, ces joggings de mauvais goût et larges, complètement dépareillés, avec des messages, comme si les danseurs avaient choisi par hasard ce qui traînaient dans leur placard.
La fête c’est compliqué avec de l’alcool et la fumée
Puis un autre arrive avec un long fouet (ou sûrement un câble électrique) qu’il fait tourner sur lui-même. La lumière s’éteint, on aperçoit quelques boules de feu, et tout part en vrille. Les danses sont celles de personnes alcoolisées ou droguées qui ne savent plus trop quoi faire de leurs corps et qui commencent à littéralement mimer des bruits de vomi. Malaisant… Il y a des pauses où les danseurs s’arrêtent et nous dévisagent du regard. Ils grimacent. Et puis il y a cette fumée qui les pousse à l’agonie.
Le message est clair – éviter l’abus d’alcool et de drogues en soirée pour ne pas finir en slip, dans un sale état. Bizarrement la salle a été plutôt réceptive à ce spectacle et tout le monde a applaudi surement car Keersmaeker nous a rappelé la nostalgie de soirées qui partent en vrille qui sont parfois de bons souvenirs. On est loin de son chef d’œuvre La Nuit transfigurée qui abordait le sentiment amoureux à travers l’errance d’un couple. Ce n’est clairement pas le même type de nuit qu’on passe ici. Son spectacle est clivant mais il aura le mérite de faire de parler de lui. Au moins, on s’en souviendra ! Mais surement pas pour les mêmes raisons que Rain ou Quatuor n° 4 .