AccueilA la UneDans la cuisine de Turandot : quand les casseroles chantent juste 

Dans la cuisine de Turandot : quand les casseroles chantent juste 

COMPTE-RENDU – Nous avons assisté à la première de Turandot à l’Opéra de Paris, dans la reprise de la mise en scène de Robert Wilson avec, dans les rôles principaux, les américains Tamara Wilson et Brian Jagde, sous la direction investie du chef italien Marco Armiliato. En voici le (menu) détail :

On voit souvent, dans les critiques d’opéra, la voix comparée à un métal, quel qu’il soit : bronze, acier, cuivre, etc. La comparaison est vite filée : cette voix est « tranchante », cette autre projetée comme une « lame », celle-ci encore tombe comme du « plomb » tandis que celle-là, « blanchie », nous parvient comme un alliage fragile. 

Les secrets d’une bonne recette…

Dans Turandot, de Puccini, le métal n’est jamais loin non plus et l’on retrouve une résonance guerrière dans l’intrigue même : le prince Calaf ne s’arme-t-il pas de courage pour résoudre les énigmes en attaquant l’armure glacée de la princesse Turandot ? On pousse peut-être un peu, oui. Cette intrigue est, en tout cas, un bon prétexte pour faire croiser le fer aux chanteurs, permettant un combat de décibels jusqu’au majestueux happy ending qui voit les deux (ex-)antagonistes baisser leurs armes pour s’ouvrir à l’amour. 

Tentons donc d’établir la cartographie métallico-bellico-lyrique (eh oui) de la soirée. Qui n’en rêverait pas ? Toutefois, et puisque l’on dit vulgairement « chanter comme une casserole » et que cette comparaison est injuste tant on sait combien les bonnes soupes ne se font que dans les vieilles marmites, compliquons la mise en associant à chaque interprète l’ustensile de cuisson qui définirait le mieux sa prestation. Cela permettrait, au fond, de voir si la mayonnaise a pris, non ? 

À Lire sur Ôlyrix : Le rouge et le blanc ne s’épousent-ils pas ?
attends, c’est pas encore prêt… (© Agathe Poupeney / OnP)
Un bon chef est avant tout un chef bien équipé !

Commençons avec le Calaf de Brian Jagde, ténor américain dont on apprécie immédiatement la vaillance et la projection. La voix est noire dans le médium et tire vers la lumière dans le haut du registre sans jamais parvenir tout à fait au brillant de cuivres bien frottés. Gageons qu’il serait une marmite en inox robuste. L’acteur, au demeurant, en possède la stature monolithique, manquant peut-être de l’engagement qui pourrait, entre la cocotte-minute et l’énorme faitout, apporter une souplesse à sa rondeur d’incarnation. 

Tamara Wilson, à ses côtés dans le rôle-titre, est une somptueuse « cocotte de fonte » dont la vocale sauce frémissante aux proportions généreuses n’a peut-être pas encore infusé toute la subtilité de ses sucs. La voix se joue de la partition avec le panache d’une cheffe en herbe sûre de ses succès : pas encore étoilée mais déjà cordon-bleu, elle est une Turandot pleine de jeunesse, d’une sévérité proportionnelle à la maîtrise de ses moyens et de sa caractérisation nuancée. 

Pour ses débuts à l’Opéra de Paris, Tamara Wilson aura assuré le coup de feu !

La Liu d’Ermonela Jaho, frêle et empathique, pourrait faire penser à un panier en osier suspendu entre vapeurs florales et cuivre pâli, deux états rendant compte aussi bien de la voix que du jeu. Tout à la fois fragile et déterminée, le personnage parvient à convaincre là où l’instabilité de la ligne de chant empêche à l’émotion de poindre tout à fait. Le timbre conserve néanmoins des couleurs sucrées sur l’ensemble de la tessiture. 

De l’importance des seconds couteaux

Ping, Pang et Pong sont la batterie redoutable de poêles mises toutes en même temps sur le piano et où rien ne doit brûler ! Florent Mbia est une compotée onctueuse qu’agrémentent et parfument les voix vanillées de Maciej Kwasnikowski et Nicholas Jones. Tous trois s’équilibrent pour former un trio énergique et relevé.

De sacrés mirlitons marmitons (© Agathe Poupeney / OnP)

Carlo Bosi, l’empereur Altoum, est une marmite en fonte au revêtement blanc comme l’acier, au son puissant et à la qualité toujours égale. Si le fond possède griffures et odeurs du passé, c’est pour mieux accompagner les nouveaux mets qui y sont préparés. L’acteur est en suspension dans l’air comme à sa cheminée rustique.

Face à lui, autre empereur déchu, Timur séduit par l’allure imposante de ses interventions, notamment à la mort de sa chère Liu. Grave voix dans grand corps, Mika Kares a toute l’allure d’un cuiseur géant où confitures noires et soupes automnales sont préparées dans un bouillon nerveux et dynamique.

Guilhem Worms, enfin, est un mandarin au timbre noir et grésillant, comme une poêlée couverte aux émanations alléchantes et forestières. L’autorité de ses interventions en fait sans doute l’outil le plus efficace dès lors que l’on veut obtenir un résultat rapide et de qualité. Pour un déjeuner en semaine par exemple ? 

Le bon goût est aussi dans le dressage !

Dans cette cuisine improbable, le chef italien Marco Armiliato se démène avec une énergie qui n’autorise aucun faux pas, supervisant tout à la fois les chœurs, émincés par Ching-Lien Wu, et les assiettes, soigneusement peaufinées par Robert Wilson et Nicola Panzer avant l’envoi en salle. Le résultat est réjouissant, la panoplie métallico-bellico-lyrique trouvant une justesse qui, comme tout ce qui éveille l’émotion, comporte l’enthousiasme du voyage. Ce que les lumières et les décors, suggestifs sans figer le propos, entre panneaux coulissants, traits lumineux et costumes orientalisants, ne font que renforcer, rendant crédible cette Chine d’un conte le temps d’un soir.

Est-ce que ça, ça n’est pas une mayonnaise qui prend ?

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