Haru : opéra post-apocalyptique

OPERA – En résidence à l’abbaye aux Dames de Saintes, la troupe d’Haru achevait la tournée de création au Gallia théâtre de la ville Charentaise le 12 février dernier. Avec cet opéra de chambre, Romie Estèves (mezzo-soprano), Jean-Yves Ruf (Metteur en scène) et Camille Rocailleux (compositeur) continuent leur travail percutant au service de la création. Plongée dans un monde en rémission, après la catastrophe.

Le plateau est à vue, le sol jonché d’objets jetés ça et là, comme portés par le vent d’une catastrophe dont on devine l’intensité par l’ambiance de mort qu’elle a laissé derrière elle. Réchauffement climatique ? Épidémie foudroyante ? Attaque de zombies ? Rien ne sera dit sur la nature du mal, parce que ce qui intéresse Romie Estève et Jean-Yves Ruf, c’est de raconter comment on vit un cataclysme. En gros, on est pas dans 2012 ou La Guerre des Mondes. On est plutôt dans Le jour d’après.

© Ckêo

Haru, c’est son nom, mais elle l’a oublié. Dans ce monde en ruine, elle est la seule survivante et, parce qu’elle se réveille chaque jour en se demandant pourquoi elle est là, pourquoi elle doit vivre alors que plus rien n’existe autour d’elle, elle a tout perdu. Son amour, bien sûr, sa mémoire, évidemment, et jusqu’au langage qui passe d’abord par des phrases annonées de sa vie d’avant. Puis quelques râles, un murmure, un cri de douleur et, enfin : le chant.

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Opéra en ruines

Parce qu’Haru, c’est un Opéra, ça oui. Du récitatif sec au grand air accompagné par la musique de Camille Rocailleux, on retrouve les « codes » du langage lyrique dans cette heure et demie d’un seul en scène où Romie Estèves assure sérieusement. Retenir le texte, les déplacements, les quelques chorégraphies, les départs de la musique, tout en restant tellement investie dans son personnage qu’on sent, au moment de saluer, qu’elle aurait eu besoin de souffler un peu pour redescendre sur terre : c’est du très costaud. Comme ce passage de pure virtuosité où la musique retranscrit deux minutes d’une émission norvégienne sortie d’un vieux poste radio, en suivant les inflexions du discours pour créer une mélodie. Incroyable… À la fin, on applaudit presque plus la performance impressionnante que le propos du spectacle en lui-même.

© Steve Barek
Secousses et répliques

Parce que, s’il doit être vu, s’il est incontestablement puissant, il est difficile d’applaudir Haru, au sens festif où on peut l’entendre. Ce n’est pas un feel-good opéra. C’est une expérience rude, traversée par des moments de gêne (et de grâce aussi) dans lesquels on a envie de détourner le regard, sans trouver tout à fait le mot qui correspond à ce qu’on ressent. Les anglais en ont un pas mal pour ça : « unsettling », à la fois troublant et émouvant. C’est dur, oui, mais pas désagréable. Lourd, mais pas pesant. C’est une plongée dans la solitude absolue d’une femme qui lutte pour trouver du sens à ce qui n’en a pas, (ALERTE SPOILER) et qui trouve dans sa grossesse inattendue une raison de vivre, quand plus rien ne la rattachait au monde. On sort de là persuadés d’avoir vu un spectacle de grande qualité, porté par une troupe indépendante qui a le courage de créer sans concession les formes nouvelles d’un opéra de chambre. La ruine de l’opéra, diront certains. Son Phoenix, diront d’autres.

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