LYRIQUE/DANSE – Le Grand Théâtre de Genève présente Idomeneo de Mozart dans une mise en scène du directeur de la danse de la maison, Sidi Larbi Cherkaoui, très influencée par les cordes et fils sculptés par Chiharu Shiota.
« On dit qu’au Japon, chaque enfant naît avec un fil rouge au bout du petit doigt : relié à son cœur par un vaisseau sanguin. Il le lie à une personne qu’il est destiné à rencontrer au cours de son existence » (programme de salle)
Pas cousu de fil blanc
Le directeur de la danse de l’Opéra de Genève présente une mise en scène d’Idoménée dont les fils rouges sont… les fils rouges de la scénographe-plasticienne japonaise Chiharu Shiota. Ces fils sont tissés entre les personnages, symbolisant les nœuds du destin comme ceux d’un serment, du mariage ou de l’amitié, les liens du sang, le fil de l’histoire, voire la corde au cou qui rappelle la mort qui guette. Les cordes raides ou élastiques se font filet de pêche ou corde de marin, cage ou monstre, paysage ou mer déchainée. Ces compositions visuelles se renouvellent en permanence avec ingéniosité, toujours surprenantes, toujours esthétiques, toujours signifiantes, rehaussées par les lumières (et les ombres) de Michael Bauer.
Les costumes de Yuima Nakazato, marquant la séparation entre les Grecs et les Troyens, se fondent dans cet univers esthétique. Dans la logique, très courante aujourd’hui, de dé-travestir les personnages d’hommes chantés par des mezzos et de « briser la stricte délimitation des genres » (selon le programme de salle), le costume d’Idamante joue sur une androgynie qui n’apporte toutefois rien dramaturgiquement.
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Funambule
Le metteur en scène se charge avec poésie de régler les ballets, qui débordent sur les airs et les récitatifs, sans jamais nuire au chant. Ses chorégraphies apportent une quatrième dimension au spectacle, avec le texte, la musique et le théâtre. L’épure des mouvements, toujours sur un fil, est en cohérence avec la scénographie, les corps épousant les inflexions de la partition. Il s’appuie notamment sur les capacités en danse des chanteuses Lea Desandre et Giulia Semenzato, qui participent de bonne grâce (dans tous les sens du terme) à la chorégraphie.
Twist à deux doigts de la fin
S’inspirant du mythe originel, d’ailleurs repris dans la version opératique de Campra, Sidi Larbi Cherkaoui détricote le happy end final (« J’aimerais y croire mais le monde nous dit autre chose ») en jouant sur les mots sans changer le livret. Si « le sacrifice est terminé », ce n’est plus parce qu’Idoménée a abdiqué conformément à l’ordre de Neptune, mais parce qu’il a finalement tué son fils et Ilia. « L’autre moi » qui devient alors roi n’est plus son fils, mais bien lui-même, délivré de son serment. L’ambiguïté du mot italien « soglio » est utilisée pour affermir ce rebondissement : plutôt que de céder à son fils « le trône de Crête » (traduction habituelle), il lui cède ici « la terre de Crête » dont il mangera en effet dans cette interprétation les pissenlits par les racines. Enfin, « l’épouse royale » qu’il consacre n’est plus Ilia dont il mettrait la main dans celle d’Idamante, mais Elettra (qui ne s’est finalement pas donnée la mort) qu’il épouse lui-même. Ainsi, tout est différent sans que rien n’ait changé et le metteur en scène illustre le sens actuel profond qu’il voit dans cette œuvre : « L’avenir des générations futures se trouve hypothéqué par les décisions politiques prises par ceux qui les ont précédées ».
Honneur aux cordes
Leonardo García Alarcón (qui passera dans les prochains jours du rouge de cette mise en scène à La Cité Bleue inaugurée à Genève ce 9 mars) dirige à mains nues par de grands gestes un ensemble composé de son ensemble Cappella Mediterranea complété de musiciens de l’Orchestre de Chambre de Genève. Si, en cohérence avec le plateau, les cordes s’épanouissent dans cette configuration, les vents offrent un son moins homogène et moins juste. Lui qui voit dans cette œuvre « L’amour comme un couteau » livre une interprétation brûlante de la partition, tantôt puissante, voire violente, tantôt caressante. Le Chœur du Grand Théâtre de Genève se montre puissant et participe activement à l’action scénique.
Cordes vocales
- Premier de cordée, Bernard Richter chante avec éloquence Idomeneo en remplacement de Stanislas de Barbeyrac, initialement prévu. Son timbre est clair, très mozartien, ses aigus apparaissant toutefois plus fragiles que ses registres inférieurs. Ses phrasés sont très travaillés, bien que ses vocalises manquent de fluidité.
- Lea Desandre prend le rôle d’Idamante avec nuance et conviction. Sa voix concentrée et son vibrato fin et vif lui donnent une certaine assurance. Son timbre doux est assez clair, ce qui accentue l’ambiguïté de genre créée par les costumes en appuyant le caractère féminin associé à ce prince.
- Federica Lombardi apporte à Elettra une certaine noblesse de port et de chant, notamment par sa voix très lyrique et ses grands accents. Elle se montre également touchante dans son deuxième air, marquant la complexité de ce personnage torturé.
- Giulia Semenzato chante avec un grand sens du récit le rôle d’Ilia d’une voix qui ne tient qu’à un fil (parfois couverte par l’orchestre) et aux vocalises subtiles, au timbre rougeoyant et caressant.
- Omar Mancini impressionne le public en Arbace par son aigu final vigoureux et bien tenu, malgré un voisement grinçant qui nuit à la qualité de son timbre.
- Luca Bernard chante le Grand-Prêtre de Neptune d’une voix ferme manquant sans doute de noirceur pour le rôle.
- Sonorisé, l’Oracle de William Meinert se fait large et profond.