DISQUE – Pour le label Accent, Les Traversées Baroques redonnent vie à une partition de Marc’Antonio Ziani tombée dans l’oubli : La Morte vinta sul Calvario. Une œuvre religieuse qui allie étroitement rhétorique et expressivité musicale, et qui ne manque pas d’intérêt tant par son sujet que par l’éloquence du compositeur.
Oratorio ou joute oratoire ?
Le pitch : Le Démon et La Mort se disputent la gloire de la mort du Christ, bientôt rejoints par La Nature Humaine, La Foi et L’Ame d’Adam, qui contestent leur victoire.
Que pourraient bien se dire Le Démon et La Mort s’ils se rencontraient ? C’est à cette question surprenante que répond l’inédite Morte vinta sul Calvario de Marc’Antonio Ziani, créée à Vienne en 1706, et ressuscitée au disque par l’ensemble Les Traversées baroques et leur chef Etienne Meyer. Le sujet intrigue ; mais cet enregistrement ne se contente pas de nous faire découvrir une partition oubliée. Il donne aussi une nouvelle visibilité à un genre musical bien particulier – et typiquement viennois – appelé sepolcro, apparu aux alentours de 1660.
Comme son nom l’indique (« sépulcre »), il s’agit d’une œuvre religieuse ayant pour thème la Passion du Christ, et représentée à l’occasion du vendredi saint. Mais qu’on ne s’y trompe pas ! Le sepolcro n’est pas un simple oratorio : non seulement il répond à une fonction liturgique, mais surtout il est purement allégorique et délaisse souvent l’action au profit de la disputatio (comme on dit en rhétorique). En bref : c’est du théâtre où l’on réfléchit, où l’on s’affronte, où l’on argumente. Une arène sacré où la joute oratoire est reine.
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A première vue, il y aurait de quoi refroidir le quidam, venu pour écouter de la musique et pas pour assister à un cours de théologie. Mais la force de l’œuvre est de fondre ensemble le propos et la forme, et de donner une belle vitalité à ses personnages allégoriques.
Convaincre et persuader
En alternant récitatifs (seuls ou dialogués) et airs, Ziani cherche à maintenir en parallèle argumentation et expression des sentiments. La réflexion théologique n’empêche donc pas un certain déploiement vocal, servi par une grande qualité d’orchestration. Chaque personnage a ainsi des couleurs spécifiques : vents et cuivres pour Le Démon par exemple, là où La Foi sera davantage dans une économie de moyens, et La Nature Humaine dans une plainte très lyrique, soutenue par les cordes. L’ensemble Les Traversées Baroques fait bien entendre les différentes atmosphères de l’œuvre, comme le grand raffinement de l’écriture de Ziani : les pages élégiaques sont sans doute les plus réussies, qu’on pense à la douceur de La Mort dans son air d’entrée (« Chi fù detto »), ou au très beau violon solo de « Quel dolor », chanté par La Nature Humaine.
Les chanteurs aussi font entendre ces différentes atmosphères, grâce à des personnalités vocales bien distinctes : la soprano Dagmar Saskova, dans le rôle de La Foi, surgit dans l’œuvre avec un air de colère immédiatement incarné. Yannis François fait preuve d’une autorité assurée dans le rôle du Démon, loin de la douceur du timbre de Maximiliano Baños (La Mort), ou de l’agilité vocale de Vincent Bouchot (La Nature Humaine) et Capucine Keller (L’Ame d’Adam). Les interprètes sont engagés dans les récitatifs dialogués et dans la confrontation d’idées, mais perdent parfois en puissance expressive dans les airs : ils auraient pu aller plus loin dans le cisèlement du texte et la mise en valeur des figuralismes, qui font le cœur de la musique de Ziani et sa force dramatique. Mais l’ensemble rend vraiment justice à l’œuvre, qu’on voudrait sans hésitation entendre encore.
Pourquoi on aime ?
- Pour la découverte d’une œuvre rare
- Pour le pitch, surprenant
- Pour l’expressivité de la partition et de l’ensemble Les Traversées
C’est pour qui ?
- Pour les curieux à la recherche de nouveauté (ou de quoi briller dans les dîners !)
- Pour ceux qui aiment autant la musique que les débats
- Pour ceux qui croiraient avoir fait le tour de la musique religieuse du XVIIIème siècle