Petrouchka : Barbie Stravinsky

JEUNE PUBLIC – La Chorégraphie, également mise en scène par Émilie Lalande, Petrouchka ou le choix d’Holubichka, créée en 2023 avec sa compagnie 1promptu, investit la scène du Grand Théâtre de Provence, pour réunir tous les publics, dans le sillage inspirant d’un grand voisin : Angelin Preljocaj. 

Barbie vs Matriochka

Le format du spectacle, 55 minutes, permet à l’attention du jeune public, venu nombreux, de se maintenir jusqu’à sa pirouette finale. Sans narration, hybridant deux contes peu connus, il semble vouloir faire table rase de toute référence, neutraliser tout attendu, pour soumettre aux enfants la force même de sa proposition. Pour ça, le décor minimaliste est tracé à la ligne claire ou sombre, découpant des espaces noir et blanc (Laure Devenelle et Diane Coquard). Il s’emplit d’aplats colorés à dominante bleu et rose dragée et d’accessoires usuels et symboliques : valise, miroir, escalier, etc. Il renvoit au monde de l’Album, noyau central de la littérature jeunesse et sa manière de faire de la lecture un loisir et un plaisir. Les lumières (Jean-Bastien Nehr) et les costumes (Marie Vernhes et Émilie Lalande), enfin, soit tout l’écrin visuel de la chorégraphie, renvoient à un monde féérique et naïf, dont les deux personnages principaux, sont des jouets d’enfant autant que des enfants- jouets : des marionnettes qui prennent vie ici par le pouvoir de la danse. De fait, le monde mis en musique par Stravinsky dans son ballet Petrouchka, emprunte ses figures, ses refrains et ses prodiges au monde de l’enfance : pantin et poupée, carnaval et fête foraine (avec la musique de Peter Gregson, les sirènes électroniques lancinantes d’Émilie Lalande et Edwige Rolland).

© Anais Baseilhac

Le pantin Petrouchka (Jean-Charles Jousni) est un être maladroit, anguleux, mais qui s’essaye à tous les mouvements, jusqu’à rendre flexible la malléole de ses chevilles. La Ballerine Holubichka (Caroline Jaubert) s’en distingue point par point, pas à pas, aussi virtuose que frivole, entre poupée Barbie et Matriochka. En plus de ce parfait antagonisme, la danse se montre immédiatement expressive, lisible : étirements, ralentis, arrêts sur image, cambrures, pied nu pointé, gestes ultra synchronisés, tournoiements de toupie, etc. Tout ce vocabulaire gestuel emprunte à la plastique de la bande-dessinée ou du dessin animé, autres genres mi-adulte mi-jeunesse, issus du livre et de son imaginaire de papier.

Poupée de chiffon rouge

Les enchainements rapides de séquences ont le rythme de l’attention enfantine, de fascination en fascination, de peur en peur. Les tableaux prennent une dimension hypnotique et fonctionnent comme le rêve ou le cauchemar – que le rituel de l’histoire racontée avant de dormir vient précéder. Mais ils s’adressent également – surtout ? – aux consciences adultes, seules à même de décoder les motifs assemblés par le spectacle, tous saturés de signification et de connotation. Le spectacle superpose – au moins – deux niveaux de lecture, soumettant au public adulte plusieurs problématiques, évidentes versus suggérées, voire, comme dans le ballet Petrouchka, ouvertes à de multiples interprétations.

© Anais Baseilhac
Créateur et créature

La critique la plus apparente concerne la société de consommation (Marius Delcourt dans le rôle du consommateur). La première séquence s’ouvre sur un non-lieu – hall de gare, grand magasin, clip publicitaire – dans lequel la valise symbolise, non pas la liberté du voyage, mais le « fétichisme de la marchandise » de Marx. Les deux magiciens-vendeurs (Leonardo Santini, Nik Folini), qui littéralement, tirent les ficelles, vendent de l’illusion. Un escalier noir, figure trompeuse du progrès, ne débouche au mieux sur rien, au pire sur un drame écologique que la végétalisation finale du décor urbain permettrait d’éviter. Une autre critique explicite est celle de cette autre illusion qu’est la supériorité du mâle alpha. Le personnage du Maure (impeccable Jean Soubirou), toujours à la parade avec sa cape de toréador – roue de paon, entraine la ballerine dans son paraître puissant.

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Mais, au-delà de ces critiques, sur un plan plus intime et subjectif, le geste d’étirement, aussi récurrent qu’ambivalent dans le langage chorégraphique d’Émilie Lalande, a de quoi questionner : attirance morbide pour les biens matériels ou geste de création ? Geste de douleur et de grâce en même temps, il met en vie et en miroir le Créateur et sa Création, l’Homme et le Pantin.

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