OPÉRA – Du ciel à la terre, du film à la scène, du rock au lyrique, de la chair à la marionnette, ces Ailes du désir de la Co[Opéra]tive présentées à Nantes mettent en miroirs et mélangent les genres, les époques, les styles et les idées.
Film atemporel, reflet d’une époque
L’opéra Les Ailes du désir composé par Othman Louati est basé sur le film éponyme de Wim Wenders sorti en 1987. Ce dernier suit deux anges, Cassiel et Damiel, chargés de veiller sur les hommes à Berlin dans la période après-guerre. Ils les observent, invisibles quoi que les humains ressentent leur présence. Mais Damiel est attiré par le désir de désirer, de ressentir, voire même de fauter : il envie les hommes et leur finitude, et tombe amoureux de Marion, une trapéziste.
Entre deux genres
Ainsi, Damiel se fait homme. Enfin, femme dans l’opéra puisque le livret sexualise cet ange qui devient Damielle (sans autre conséquence dramaturgique que de rendre lesbien son couple avec Marion). La librettiste Gwendoline Soublin semble partir du présupposé que le public a vu le film (sorti il y a 37 ans). De fait, cette plongée ésotérique (si bien qu’aucun argument n’est proposé dans le programme de salle) peut paraître décousue au spectateur qui ne connaît pas l’intrigue et ne dispose pas des références du film, les tableaux s’enchainant sans lien ni transition, sans intrigue, sans temporalité, avec des dialogues énigmatiques. Bien sûr, la portée poétique de ce conte demeure présente à tous, mais sa profondeur métaphysique restera principalement accessible aux cinéphiles informés.
Musique composée
La partition est composée pour 13 instrumentistes (5 cordes, 5 vents, 2 percussions et 1 piano) et 7 voix sonorisées. Othman Louati, percussionniste de formation (il crée par exemple une partie virtuose pour vibraphone, instrument peu utilisé à l’opéra, et joue avec les codes de la batterie dont il fausse la rythmique), mélange les genres dans une partition globalement éthérée : du madrigal, de la pop, de la musique répétitive évoquant Philip Glass, de la musique classique contemporaine avec ses effets vocaux et ses sauts d’intervalles, etc. Des bruits de train ou de sirènes hantent sa musique, tandis que le recours à l’électronique crée une distance au réel et plante l’ambiance fantastique.
Mise en scène en miroir
C’est le marionnettiste Johanny Bert qui le premier a eu l’idée de ce projet, dont la mise en scène est confiée à Grégory Voillemet. Sa vision adopte le point de vue de Damielle : les anges ont ainsi une apparence humaine et les humains sont représentés par des marionnettes. Ce n’est que quand elle devient femme que les humains prennent chair, et c’est alors Cassiel qui apparaît comme un être de bois. Ces marionnettes, habilement manipulées, participent grandement à la poésie du spectacle et leur incarnation en deuxième partie de spectacle génère une curiosité indéniable pour le spectateur.
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Johanny Bert signe également la scénographie, épurée et permettant des transitions rapides entre les nombreuses scènes. Le monde des humains est représenté, grâce aux lumières de Jean-Philippe Viguié, comme des ombres ressortant sur le mur de fond de scène luminescent. Quelques éléments de décor, montés sur roulettes, vont et viennent pour caractériser chaque scène et accompagner les marionnettes. Un morceau de mur (de Berlin) caractérise le temps et le lieu. Des toiles peintes tissent des univers.
Miroirs étendus en fosse
En fosse, l’ensemble Miroirs étendus est place sous la direction de Fiona Monbet qui dirige d’une gestique précise : vue la complexité rythmique de la partition, elle se dédie des deux mains à la battue de la mesure, soutenant les départs de chacun, et assurant la cohérence globale de l’interprétation.
Alouettes sans miroir
- Marie-Laure Garnier (Damielle) dispose déjà d’une voix charnue et charnelle avant que son personnage ne prenne chair. Elle mobilise un ambitus extrêmement large que le compositeur (qui a écrit le rôle pour elle) exploite par de larges sauts d’intervalles qui évoquent les doutes et préfigurent la chute de l’ange.
- Romain Dayez (Cassiel) expose son baryton léger (parfois déstabilisé par le vibrato) et à l’intense couverture. Il offre à son personnage une diction précise et théâtrale.
- Camille Merckx (Marion) sollicite également un large ambitus (le compositeur souhaitant souligner une androgynie du personnage) depuis des aigus riches et lumineux jusque des graves moelleux, et différents effets vocaux (elle n’hésite pas à faire grincer sa voix pour souligner une ironie).
- Benoit Rameau dispose d’une voix de ténor clair et d’un jeu dynamique en Peter. Son vibrato rapide évoque presque le chant oriental lorsqu’il campe l’Aimant jamais aimé.
- Shigeko Hata dispose d’aigus ronds (dont l’encrage haut et lyrique est sollicité en Enfant) et de graves reluisants (utiles en Mendiante), et d’un vibrato léger.
- Ronan Nédélec (Le Vieux rescapé, l’Employé du Cirque) descend dans de larges graves, au vibrato bien présent.
- Mathilde Ortscheidt (La Mère sans insouciance, La Directrice du cirque), dont les aigus sont ancrés dans le masque, porte un soin particulier à l’articulation de son récit.