OPÉRA – L’Opéra Grand Avignon conclut majestueusement sa saison Magique, 2023-2024, avec la sublime production de Boris Godounov, un opéra en sept tableaux de Modeste Moussorgski, inspiré de l’œuvre d’Alexandre Pouchkine, présenté dans sa version originelle bien que raccourcie. Ce spectacle grandiose, co-créé avec l’Opéra de Monte-Carlo, est magnifiquement accompagné par l’Orchestre National Avignon-Provence, sous la direction royale du chef Dmitry Sinkovsky.
Empereur attendu au tourment
L’œuvre impériale de Modeste Moussorgski nous est ici, Mesdames et Messieurs, révélée dans une production d’une majesté inégalée. Le metteur en scène Jean-Romain Vesperini, avec une dévotion royale, mobilise toutes les ressources de son royaume scénique, captivant ainsi son auditoire avec une mise en scène éclatante qui, bien qu’il se refuse à la nommer ainsi, demeure résolument classique. Dès les premières minutes, le public est envoûté par un plateau divisé (pour mieux régner ?) en deux niveaux, représentant avec éclat les divers rangs et les émotions des personnages, notamment celles du tsar tragique Boris Godounov.

Dans la partie inférieure le peuple et les gardes oppresseurs, et dans la partie supérieure le tsar et la famille impériale. Cette division ne s’arrête pas à l’aspect physique, mais reflète également les tourments intérieurs du tsar, de ses moments de gloire impériale, comme lors de son couronnement, à ses démonstrations de pouvoir suprême. Cependant, lorsque les remords et la culpabilité l’assaillent, il descend de son trône doré et se perd dans les ténèbres, hanté par la vision spectrale de l’enfant Dimitri, l’héritier légitime qu’il a fait assassiner. Les costumes, véritables joyaux réalisés par l’Atelier de l’Opéra Grand Avignon, regorgent de détails et de couleurs vives, suscitant l’admiration royale des spectateurs.
L’ascension au trône et la prise du pouvoir musical
L’Orchestre National Avignon-Provence, sous la baguette du maître virtuose Dmitry Sinkovsky, déploie une énergie dynamique, offrant une interprétation riche en contrastes et en reliefs. Des passages empreints de romantisme se mêlent à des moments où l’orchestre, en pleine symbiose, délivre une puissance sonore écrasante. Le violoniste, chanteur et chef d’orchestre russe Dmitry Sinkovsky dirige avec une précision impériale, corrigeant avec habileté quelques rares décalages, ses mouvements fluides et ses indications claires rendant justice à la vision de Moussorgski de faire résonner l’âme russe à travers sa musique. Toutefois, sa présence intense et son immersion totale dans la partition déconcentrent parfois les spectateurs les plus proches de la fosse, Sinkovsky chantant à voix basse le début des phrases des solistes et du Chœur pour leur donner leurs départs.

Le faste et la somptuosité vocale
La distribution vocale, homogène dans sa qualité, offre des prestations impressionnantes :
- Le rôle du tsar Boris Godounov est interprété par la basse croate Luciano Batinic, qui dote son personnage d’une voix aux graves profonds et au timbre chaleureux, conservant une sombre intensité même dans les aigus. Sa performance émouvante confère à son personnage une présence imposante, mais empreinte d’humanité.
- Le ténor croate Kresimir Spicer, interprétant le Prince Vassili Chouïski et Missaïl, se distingue comme l’une des stars de la soirée, sa voix claire et puissante surpassant sans effort l’orchestre. Sa prestation en tant que Chouïski est solennelle et convaincante, tandis qu’en Missaïl, il apporte une espièglerie et un humour subtil.
- La mezzo Svetlana Lifar, incarnant la Nourrice et l’Aubergiste, se distingue par une voix chaude et soyeuse, soutenue par une belle projection.
- Le baryton Jean-François Baron, ancien membre du Chœur de l’Opéra Grand Avignon, incarne Andreï Chtchelkalov avec un timbre légèrement ténorisant, accompagné d’un joli vibrato et d’une interprétation vocale expressive et touchante.
- La basse géorgienne Nika Guliashvili, dans le rôle du moine Pimène, impressionne par une voix caverneuse et sonore, bien que parfois étouffée dans les aigus.
- Le ténor François Rougier prête sa voix claire et ronde au moine Grigori, tandis que la basse Alexander Teliga donne vie au moine Varlaam avec une voix ronde et puissante, volontairement chaotique dans la scène de l’auberge, ajoutant une dimension comique à son personnage.
- Le jeune ténor malgache Blaise Rantoanina, incarnant l’Innocent, offre une voix claire, un peu métallique, avec des aigus aisés, avec une puissance vocale plus modeste, mais néanmoins perceptible, même face à l’orchestre.
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Le Chœur de l’Opéra Grand Avignon clôt cette saison sur une note triomphale, se révélant très efficace et produisant un son rivalisant sérieusement avec la puissance de l’orchestre. Malgré quelques petits décalages, le chœur suit fidèlement les indications du chef, démontrant une précision admirable. Après plus de deux heures de spectacle sans entracte, le public, enchanté, applaudit longuement les artistes, les rappelant plusieurs fois sur scène même après la tombée du rideau. A tsar is born…