SUR LE TERRAIN – Un festival étonnant vient de se terminer, sur la plage de Royan, en Charente-Maritime. Un Violon sur le Sable, superproduction pyrotechnique aux accents doucement populaires est une rareté dans le monde classique, globalement boudée par la presse spécialisée. Le reproche étant toujours le même : le choix de la forme au détriment du fond. Instagram versus la réalité, l’élitisme parisien versus les vacances balnéaires qui sentent bon le sable chaud et les beignets au chocolat.
Comme vous nous connaissez, vous savez qu’on a peur de rien. Pas peur de prendre des places dans un Candlelight concert. Pas peur de nous mélanger à la foule des fanas d’André Rieu. Pas peur donc, d’aller s’installer à même le sable qui remplit nos chaussures, entre deux tapis de plage. Parce que, quand le monde des mélomanes bien rangés nous dit qu’il ne faut pas aller quelque part (parce que soi-disant la musique classique n’aurait rien à faire sur le sable fin), le petit canard à cornes pointues sur notre épaule nous dit qu’il y a quelque chose à aller voir. Alors on l’a fait, sans nous pincer le nez. En plus, la quasi totalité des événements sont gratuits ou presque, alors on s’est pas privés ! On a garé la voiture en ville, direction la plage où un petit bout de serviette nous avait été gentiment gardé par une famille de festivaliers fidèles, de ceux qui ne rateraient pour rien au monde l’occasion de s’en mettre plein les yeux. Et ils ne sont pas les seuls…
Les pieds dans le sable
Premier constat en arrivant sur place : ça grouille de monde ! Le dossier de presse du festival indique 30 à 40 000 spectateurs. Bon, ça c’est les chiffres « selon les organisateurs », sans préciser si c’est par concert ou pour les trois concerts en tout. On est pas bête, mais même si le compte réel fait quatre fois moins, c’est déjà beaucoup plus que n’importe quelle salle de concert classique. Thibaut Cauvin, présent sur l’édition 2024 appelle ça « le Woodstock de la musique classique ». Ok Thibaut, à ceci près qu’à Royan, les quiches aux lardons et les bocaux de foie gras maison remplacent les bières chaudes et les pastilles magiques…
Alors bien sûr, il y a la plage, son show symphonique couronné par un feu d’artifice musical à souhait. Bien sûr, il y a la falaise de Talmont où Jean-Paul Gasparian vient garnir son site internet de photo archi-instagramables. Bien sûr, il y a le golf de Royan où les étoiles du ballet de l’Opéra de Paris montrent leur art sur la pelouse bien taillée du green. Bien sûr, tout ici respire le luxe des soirées d’été, le calme et la volupté des jours que le soleil étire jusqu’au bout de son souffle pour ne jamais éteindre la lumière. Au bout du concert, la Lune prendra le relais pour éclairer les mains mêlées des amants. Oui bien sûr, Un Violon sur le Sable nous donne envie de nous emballer…
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Les oreilles à la maison
Mais vous aurez remarqué que, jusque-là, on a pas parlé des performances musicales. C’est volontaire. Parce que oui, si on regarde au-delà du charme imbattable du Violon sur le Sable, si on plisse les yeux dans la lumière romantique du coucher du soleil, on voit LE détail qui explique que le Violon sur le Sable ne soit pas « visité » par les confrères de la presse spécialisée : le plein-air amplifié.
Le plein-air oblige évidemment à une prise de son relayée sur des murs entiers d’enceintes hyperwattées, ce qui a tendance à amenuiser un des éléments-clés d’un concert classique : l’impact brut d’un orchestre, tellement important. Non pas qu’il soit impossible de bien amplifier un orchestre, mais ici la légère compression du son vers le centre du spectre (l’ensemble des ondes naturelles qui font le timbre d’un son), fait qu’on perd en route des harmoniques et des résonances qui s’épanouissent dans les acoustiques dites « naturelles ». Après, quand vous voulez faire un concert pour une plage entière, y’a pas beaucoup d’autres moyens…
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Et puis, les performances des solistes, tellement mises en avant, sont difficiles à juger quand, par exemple, le Concerto pour piano n°2 de Rachmaninov est joué sur une scène ouverte aux vents, avec ce que ça peut supposer de perturbations acoustiques. Khatia Buniatishvili, Pretty Yende, Thibaut Cauvin, Pierre Génisson et consort font ce qu’ils peuvent. Mais si vous voulez les entendre au max de ce qu’ils ont à offrir, cherchez-les ailleurs.
La tête ailleurs
On est aussi allé voir le « off », qui fonctionne avec la même recette. Au cœur du parc de Royan, on a retrouvé Thibaut Cauvin, charmant comme d’habitude, et dont la sélection de son carnet de voyages/souvenirs avait bon ton dans cette ambiance de feu de camp. Il nous manquait juste quelques chamallows pour profiter pleinement du doux gratton des cordes et des accents folks de ce répertoire. Thibaut Cauvin a joué partout, des steppes mongoles au désert marocain, des hauts plateaux d’Anatolie à la pampa argentine, alors c’est pas quelques cigales et un théâtre de verdure qui allaient lui faire peur !
Deuxième rendez-vous, dans l’arrière-pays royannais : Jean-Paul Gasparian. En fin de journée caniculaire, sur une falaise devant l’Estuaire de la Gironde, le pianiste a adapté son programme habituel aux conditions du concert, et il a bien fait : on n’y aurait pas retrouvé le coloriste fin qu’on connaît dans Ravel et Debussy. Mais on y a gagné une soirée d’été enchantée, devant une vue à couper le souffle. C’est déjà ça !
Les yeux fermés ?
Alors, pourquoi on est allé au Violon sur le Sable cette année, vous nous direz ? Pour la même raison que ce qui nous a poussé aux Candelights concerts : le succès public. Oui, les éléments de comm autour de la magie des premiers concerts, de grand-mère qui partage sa passion avec sa tribu de marmots aux yeux écarquillés a quelque chose d’un peu tape à l’œil. Mais, à regarder la foule qui se masse sur la plage au coucher du soleil, il faut le dire : il y a du vrai ! Ça marche leur histoire !
Aujourd’hui, à l’heure où les difficultés de transmission de notre musique adorée auprès du public nous font trembler sur nos bases, on doit réfléchir à ce qui fait le succès de rendez-vous comme le Violon sur le Sable. On ne peut pas rester enfermés dans notre élitisme bon crin, en espérant que baisser les prix de nos salles de concert suffira à faire venir à nous un public plus large. Il y a chez ces experts de l’événementiel culturel quelque chose à aller chercher, une recette qui fonctionne, qui sait plaire, et dont on doit tirer quelques enseignements.
Il devient très compliqué de continuer à faire des concerts comme on le faisait il y a 20 ans, et sans tendre la main aux organisateurs d’événements de masse comme le « Violon », nous autres les « puristes » risquons de nous couper encore plus du monde auquel on retourne quand on sort de nos salles de concert. Alors il faut y aller, il faut proposer des façons d’améliorer, il faut discuter avec les boîtes de production. Et, oui, accepter que ce genre de rendez-vous plaise. Parce que si Paris vaut bien une messe, notre musique vaut bien un Violon…