FESTIVAL – Parce que Beethoven fut l’un des modèles du compositeur de la Symphonie Fantastique, le voir figurer au programme du Festival Berlioz n’est que justice. Et puisqu’un bonheur ne vient jamais seul, ce n’est pas une, mais bien deux symphonies qui sont jouées dans un cadre atypique.
Au fond, il y a sans doute un peu de magie là-dedans… Pousser les portes d’un château d’époque Louis XI, pour mieux se retrouver abrité par une structure ultramoderne, faisant opérer un radical saut dans le temps en l’espace de dix mètres. De la magie, aussi, à se dire qu’ici, sur un promontoire niché au cœur de la plaine iséroise, se trouve un Festival des plus prestigieux, donnant le droit, ou plutôt le privilège, d’assister à des concerts d’exception dans un cadre de verdure et de vieilles pierres. De la magie, enfin, à voir l’un des violonistes les plus doués et renommés de sa génération, Renaud Capuçon, faire des merveilles en soliste pour se muer, un clignement d’œil plus tard, en chef d’orchestre. Ainsi va la vie estivale dans le Festival Berlioz où le chanceux spectateur n’en est plus à une surprise près.
Et en cette douce soirée, la compagnie s’annonce des plus agréables, puisque Mozart et Beethoven sont annoncés en tête d’affiche. Du maître de Salzbourg sont programmés un Rondo (en do majeur) et un Adagio (en mi majeur) pour violon et orchestre ; et du natif de Bonn, sont attendues rien de moins que les 2ème et 3ème Symphonies, le tout en un seul et même concert. Et avec, pour servir ce pantagruélique menu, un orchestre… de chambre ! À peine quarante musiciens pour affronter ces deux partitions homériques, où tout est feu, poésie, éloquence et solennité ? Oui, quarante, pas un de plus ! Alors, s’il faut encore faire la démonstration que c’est moins le nombre qui compte que la qualité, c’est assurément le bon moment.
Et bien vite, l’on comprend en effet qu’au fond, le nombre de musiciens importe peu, tant la magie opère rapidement. Il y a d’abord, en guise de délectables amuse-bouches, ces deux charmantes pièces de Mozart où le Renaud Capuçon instrumentiste se montre tout à fait à son aise, appliqué, précis, d’une musicalité sans faille. Une prestation tout en noblesse et sobriété qui vaut aussi pour les musiciens de l’Orchestre de Chambre de Lausanne, que le soliste (il en est directeur artistique depuis 2021) mène ici de son violon, avec des mouvements de tête prononcés pour donner les départs, et des balancements de jambe comme pour mieux fixer le tempo et toujours retomber sur ses pattes. Un coup tourné vers ses musiciens, l’autre vers le public, le chef-instrumentiste se mue en roi du 180° sur une seule jambe, sans jamais que ne soit rompue sa fusion avec son orchestre et surtout avec son instrument chéri (récitant son Mozart comme le conteur le ferait d’un poème aux rimes riches).
Avec ces héros, le conte est bon
Puis, soudain, en un rien de temps, voilà donc que la baguette remplace l’archet. Et alors, la magie devient aussi héroïsme, dans la 2ème, et plus encore dans la 3ème Symphonie, qui ne s’appelle sans doute pas la symphonie « Héroïque » pour rien (le héros était initialement Napoléon, mais en ce début XIXe siècle, celui-ci eut la drôle d’idée de s‘autoproclamer Empereur, alors la partition fut finalement dédiée au prince-mécène Lobkowitz). Mais ce soir, les héros sont bien les musiciens conduits par Renaud Capuçon : ceux qui le connaissaient violoniste virtuose, le voient ici aussi chef affirmé, sûr de ses gestes, aux mimiques expressives, allant chercher la flamme chez les cuivres puis le feu chez les cordes, pour qu’un tutti magistral finisse par exploser dans deux finals à faire s’hérisser les poils.
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Mais avant, il y avait eu des Larghetto et des Adagio, et surtout ce deuxième mouvement « funèbre » de la 3ème, dont la profondeur émotionnelle est idéalement creusée par le maestro, allant ici chercher et obtenir des cordes déchaînées puis éplorées, des cuivres triomphateurs puis bientôt muets, des bois insouciants puis mélancoliques. Ainsi le public se prend-il à marcher lui aussi sur cette route au funeste horizon, avant qu’un Scherzo puis un Allegro Molto à la sonorité totalement débridée ne viennent rallumer la lumière et réchauffer les cœurs.
Des héros chez les cordes, les vents, les timbales (saisissantes !) : voilà de quoi faire la bonne fortune d’un public qui doit reprendre ses esprits avant d’applaudir à tout rompre cette performance si saisissante de sonorité, de musicalité, en somme de grandeur. L’orchestre de chambre, la star du violon qui dirige, la salle ouverte aux vents extérieurs et à la fraîcheur du soir viennent prouver (si besoin était) que la quantité ne fait pas tout et les dorures encore moins. Surtout, il faut du cœur, une fougue à toute épreuve, un sens de la musicalité propre à aller titiller les sens : l’Orchestre de chambre de Lausanne et son illustre chef réunissent tout cela. Berlioz, chez lui, aurait sans doute été le premier à apprécier.