Bartók chez Berlioz : Initials BB

FESTIVAL – Sur les hauteurs de La Côte-Saint-André (Isère), le Festival qui célèbre chaque année l’enfant du pays, Hector Berlioz, est l’occasion de profiter de quinze jours de menus musicaux forts gourmands, à raison de deux services quotidiens. Et quand deux frères montent sur scène, le plaisir est double, forcément.

C’est à n’y rien comprendre. Avant le grand concert Beethoven du soir, voici qu’est annoncé un programme Bartók avec deux éminents serviteurs de la musique de Brahms et de Schumann. Et ce ici, au Festival… Berlioz ! À en perdre le Nord ? À en saliver d’avance, plutôt, tant ici, non loin de Grenoble, c’est la musique classique dans toute sa diversité qui est célébrée. Et voici trente ans, donc, que La Côte-Saint-André vit chaque été au rythme de l’opéra, de la symphonie et de la musique de chambre, avec encore cette année des noms d’interprètes à faire tourner la tête des musicophiles : Renaud Capuçon, Elisabeth Leonskaja, Antonio Pappano, Roger Muraro, ou encore Bertrand Chamayou.

Mais tout ne se passe pas qu’en soirée : à l’heure du goûter, il y a aussi de quoi satisfaire sa faim de belle musique. La preuve, dans l’église du village, avec ce concert réunissant les frères Pierre et Théo Fouchenneret, avec donc du Bartók. Bela Bartók chez Berlioz, voici qui en fait, de la lettre « B », propre à inspirer bien d’autres mots à l’écoute du programme ici servi, à savoir les deux sonates et rhapsodies pour violon et piano signées par le compositeur dans les années 1920.  

© Festival Berlioz – Bruno Moussier

Et d‘abord, il y a cette Balade à travers laquelle les deux frères nous invitent ici, sur les pas de Bartók qui avait lui-même beaucoup bourlingué pour nourrir ces œuvres du folklore (et surtout de l’âme) de l’Europe centrale. Il y a là des rythmes lents qui soudain accélèrent, des mélodies dansantes que viennent brutalement recouvrir un souffle de mélancolie, et des dissonances qui disent l’incertain, l’inconnu, l’exotisme. Des partitions comme des contes à narrer avec le bon ton, le juste sens de la prosodie, mission pleinement exécutée par les narrateurs de cette fin d’après-midi, Pierre le violoniste, et Théo le pianiste.

Pas toujours lentement (ainsi le veut la partition), mais en tout cas sûrement, c’est avec Brio que le duo avance dans les pas tourmenté de ce compositeur qui n’a rien fait pour arranger la vie des serviteurs de son œuvre. Changements de nuances aussi nombreux que soudains, variations de rythme à la pelle, dièses et bémols à foison : au piano comme au violon, l’affaire n’est pas simple, mais elle ressemble à une formalité pour deux artistes qui en redemanderaient presque !  

Et soudain, la corde lâche

Car brûlante est cette flamme qui, d’un bout à l’autre des quatre partitions, illumine le jeu des deux frangins. Chez Théo d’abord, un cadet à l’assurance de senior : qu’il faille donner l’impulsion rythmique, prendre les devants, ou s’effacer face aux cordes frottées juste à côté, tout est parfaitement exécuté, avec dévouement autant que musicalité. Brûlante, la flamme l’est tout autant chez Pierre, le violoniste, dont il faut d’abord souligner cette manière d’être habité par la musique. Le violon tendrement enlacé, la tête posée sur lui comme l’on se reposerait sur l’épaule d’un être cher, voici, avant chaque début de phrase, que les yeux de l’artiste se ferment et que la bouche s’ouvre en grand comme pour mieux prendre une inspiration. Mais c’est bien l’instrument qui en vient à parler, et avec éloquence. De ces rhapsodies comme de ces sonates, le virtuose restitue tout l’esprit oriental, dansant, fervent, avec des fortissimi extatiques, un vibrato déchirant, et des coups d’archet n’épargnant pas un centimètre de crin. La fougue est telle d’ailleurs qu’une corde en vient même soudain à lâcher en pleine Sonate n°2 ! L’avarie réparée au prix d’un rapide passage en coulisses (changement de corde ou d’instrument ? la première option tient… la corde), lui faisant dire que « les violons supportent moins bien les voyages que Bartók », l’artiste repart pourtant plus loin encore dans l’engagement, guère décidé à ménager sa monture. Jusqu’au bout, jusqu’à la dernière goutte de sueur, tout ne sera ainsi que notes bondissantes, pizzicati diaboliques, doubles croches frénétiques et octaves trouvées au plus près du chevalet pour aller s’évanouir en une sonorité à l’écho infini.

Retrouvez également la présentation de la programmation du Festival Berlioz 2024
Béats devant le B-A-BA

En définitive, tout n’est que bonheur pour le public qui, après une heure trente de performance aussi musicale que physique, ne se prive pas d’acclamer par des Bravi nourris les deux artistes. Lesquels, en Bis, gratifient l’auditoire d’ultimes Danses populaires roumaines… de Bartók, interprétées dans la même veine que le reste du programme : d’un brio bluffant que n’aurait pas renié celui qui répondait au nom de Bela.

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