FESTIVAL – Il n’avait donc pas que la cérémonie d’ouverture des JO de Paris dans son agenda estival. Le pianiste français Alexandre Kantorow avait aussi rendez-vous à Gstaad, où, avec Liszt au programme, il s’est montré en forme… olympique.
C’est donc cela, l’été d’une étoile montante de la musique. Un jour sur la Seine à se produire sur (et sous) l’eau entre Aya Nakamura et Céline Dion, un autre à jouer au rythme des cigales de La Roque d’Anthéron, puis un passage par le Festival international d’Edimbourg avant une petite parenthèse à Salzbourg, chez l’ami Mozart. En voilà, une belle liste de destinations, qui pourraient être le cadre de jolies vacances s’il ne s’agissait pour le jeune prodige de songer avant tout à faire le bonheur de son public.
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Alors, puisque l’intéressé n’en est plus à un voyage près, il n’est pas interdit de la compléter encore, cette liste de séjours aux quatre coins de l’Europe. Avec un petit passage par les Alpes suisses ? Allez, vendu, destination Gstaad, ses chalets en bois, ses montagnes imposantes, et son Festival Menuhin qui depuis longtemps (plus de 60 ans !) accueille chaque été des artistes à la renommée internationale. C’est au moins la certitude de retrouver quelques copains pour le vainqueur 2019 du Concours Tchaïkovski (premier français à conquérir ce Graal des pianistes), qui se présente sous la grande tente blanche du festival en bonne compagnie : celle du Budapest Festival Orchestra et de son chef Iván Fischer.
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Et puisqu’il s’agit donc de compléter une liste de destinations ouvrant au dépaysement, voici que ce concert propose une petite escapade en Europe centrale. Au programme : du Dvořák, avec sa Symphonie n° 7 en ré mineur, et bien sûr… du Liszt, avec sa fameuse Rhapsodie Hongroise n°2 (qui a inspiré jusqu’à Tom et Jerry !), et son Concerto pour piano n°2.
Un chouette programme, qui permet d’abord à l’orchestre de se mettre en valeur, avec cette Rhapsodie comme portée par un souffle patriotique. Des cordes aux coups d’archets passionnément appuyés jusqu’à des cuivres proéminents, ils font immédiatement voyager dans quelque plaine magyare, entre Danube et lac Balaton, à écouter des chansons populaires dans des effluves de Tokay. Une entrée en matière qui met donc bien au parfum de ce concert placé sous le signe du folklore, avec pour l’heure en soliste, Jeno Lisztes, qui ne joue pas du piano mais du cymbalum, dont il vient frapper les cordes tout en grâce et dextérité.
Pas chiche, l’Auvergnat
Et le piano, alors, dans tout cela, est-il sur liste d’attente ? Non, il arrive, avec Alexandre Kantorow que l’on imagine à son aise dans ce Concerto de Liszt qu’il a gravé au disque à l’aube de sa carrière (à 18 ans !). Mais l’affaire n’est pas expédiée comme une formalité, bien au contraire : avec ses mains aux doigts infinis, le virtuose auvergnat se fait volcanique, dessinant des paysages de cratère paisiblement endormi, avant qu’une éruption ne finisse par couver pour enfin survenir au terme de vingt minutes d’une exécution tout en effusion. D’une ouverture magnifiée par ces clarinettes et bassons d’une délicatesse ouatée, jusqu’à un Final comme une apothéose sonore où il convient de jouer juste et fort pour quêter l’exaltation, en passant par des solos de cor et de violoncelles comme autant d’instants de grâce, tout captive dans cette exécution qui passe au fond bien trop vite.
À peine le public a-t-il eu le temps d’apprécier la virtuosité du pianiste, son assurance dans le jeu de mains, ses façons de frapper les touches autant que de les cajoler pour faire se suspendre les notes et le temps en même temps, qu’il faut déjà applaudir. Mais c’est connu, l’Auvergnat… n’est pas radin : alors, après cette interprétation délicieuse, qui a vu le piano donner dans le captivant monologue autant que dans le dialogue nourri avec l’orchestre, l’artiste se fend évidemment d’un petit bis. Du Liszt, encore ? Non, du Saint-Saëns, avec une adaptation du grand air de Samson et Dalila, « Mon cœur s’ouvre à ta voix ». De quoi, plus que jamais, faire chanter son piano, et conquérir définitivement le cœur de son public. Ainsi, après quarante minutes de concert déjà fort intenses, ce dernier en viendrait presque à oublier que, sur la liste des réjouissances programmées, il y avait aussi cette Symphonie n°7 de Dvorak. L’une des plus romantiques et exaltées du compositeur, paraît-il. Et l’interprétation qui en est ici donnée n’invite pas à en douter : de l’Allegro initial, avec un tutti de cordes annonçant l’orage, jusqu’à un Finale fastueux, en passant par un Adagio bucolique, tout n’est que ravissement dans cette partition aux airs de musique de film.
Le public ne s’y trompe pas : à la fin du concert, les saluts sont destinés tant à l’orchestre, à son chef, qu’à Alexandre Kantorow qui a prouvé combien, quand il s’agit de servir Liszt, il est plus que jamais dans la place. Et pas la dernière.