OPÉRA – Le Théâtre de Genève inaugure sa saison en beauté avec un monument de l’opéra : Tristan et Isolde. Cette version moderne, mise en scène par Michael Thalheimer et dirigée par Marc Albrecht, redonne vie à l’œuvre emblématique de Richard Wagner.
Deux corps célestes
C’est dans une salle intime que le Théâtre de Genève nous convie, à la tombée de la nuit. Depuis quelques semaines, un phénomène céleste fait parler de lui : un événement rarissime où deux étoiles, visiblement errantes, s’apprêtent à vivre une fin tragique en entrant en collision. L’une d’elles est sur le point d’exploser, condamnant sa voisine la plus proche. Le maître de cette soirée, Michael Thalheimer, et son équipe nous accueillent chaleureusement et nous guident chacun vers notre place. Peu à peu, on commence à observer un ciel, d’abord épuré et sans menace apparente. De petites constellations apparaissent les unes après les autres, dessinant une voie lactée paisible et sereine. Soudain, on remarque une étoile plus brillante et plus imposante que les autres, aux côtés de sa compagne, plus fragile, mais non moins éclatante.
Cette étoile, c’est Tristan (le ténor Gwyn Hughes Jones), qui capte immédiatement toute l’attention. Scintillant dans le firmament, il rayonne de toute sa force, bien que parfois vacillante, pour exprimer son amour à Isolde. Sa bien-aimée, Isolde (la soprano Elisabet Strid), lui répond avec ardeur. Malgré son destin tragique, elle fait preuve de courage et de détermination, ses couleurs vibrantes illustrant toute la richesse de son caractère. Leur union, aussi magnifique que brève, est vouée à sombrer dans l’oubli. Le guide nous explique alors que lorsque l’une des étoiles explosera, l’autre sera probablement éjectée de sa galaxie, la plongeant dans le néant. Ces étoiles errantes incarnent sans aucun doute un amour éternel, auquel seule la nuit accorde un moment de paix, pour apaiser les âmes tourmentées.
La galaxie unie
On passe plus de cinq heures, fascinés, à observer ce spectacle céleste. Plus on contemple les étoiles, plus on imagine la vie autour de ce phénomène. En harmonie, les deux astres semblent échanger de poignants adieux, dont l’émotion nous atteint même à des années-lumière. Si leur sort est scellé, leur constellation brille de solidarité. Les autres étoiles de la galaxie semblent se préoccuper de ce couple hors du commun :
- La lune désapprouve, incarnée par Marke (la basse Tareq Nazmi). De son éclat froid et nacré, elle impose son autorité, implacable.
- Quant à Brangäne (la mezzo-soprano Kristina Stanek), elle se porte volontaire pour devenir l’étoile protectrice d’Isolde. Généreuse, elle brille fort, prête à offrir sa poussière d’étoiles pour soulager son amie.
- Fidèle à son ami Tristan, Kurwenal (le baryton Audun Iversen) déploie son rayonnement immense. Il est la voûte céleste.
- La nébuleuse Melot, (le jeune ténor Julien Henric), manifeste sa jalousie dans les éclats jaunes de son ressentiment.
- Les petites étoiles, représentées par les ténors Emanuel Tomljenović et Vladimir Kazakov, assistent, impuissantes, à cette tragédie cosmique, compatissantes sous leur voile soyeux et satiné.
- Enfin, les chœurs des jeunes étoiles de la Suisse Romande, dirigés par le chef Marc Albrecht, enveloppent le couple tragique dans une nuée voluptueuse, les soutenant jusqu’à la fin.
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Montées au ciel, les deux étoiles Tristan et Isolde brillent encore, bien entourées dans leur constellation, au cœur de leur galaxie, sous le regard ému des Terriens.