AccueilA la UneAngèle au pays des Merveilles : Le Domino Noir à l’Opéra Comique

Angèle au pays des Merveilles : Le Domino Noir à l’Opéra Comique

OPÉRA – Plongez dans l’univers fantasmagorique du “Domino Noir” d’Auber, sorte de mythe surréaliste dirigé par Louis Langrée jusqu’au 28 septembre à l’Opéra Comique.

Une Cendrillon à l’espagnole

Imaginez : Brigitte de San Lucar (ici incarnée par Victoire Bunel) et Angèle De Olivarès (Anne-Catherine Gillet), deux nonnes en devenir s’enfuient du couvent le temps d’une soirée, dans l’espoir de vivre la grande vie avant de prendre le voile. Cette nuit-là, Angèle rencontre Horace de Massarena (Cyrille Dubois), et tous deux tombent amoureux. Mais Angèle, telle une cendrillon espagnole, disparaît sans laisser de trace quand vient minuit. S’ensuit alors une quête endiablée dans tout Madrid, entre le comte Juliano (Léo Vermot-Desroches) et Horace, qui cherchent Angèle, et Brigitte, qui, de retour au couvent, tente tant bien que mal de masquer la disparition de son amie. Le tout sur fond disco, poursuivis par un grossier Lord Elfort (Laurent Montel), qui en a après sa femme, la fortune d’Angèle, Horace, bref, après tout le monde. 

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Voyez maintenant : Un Lord Elfort en porc-épic, un Juliano en paon séducteur, Brigitte le pissenlit et un Horace papillon, parfois naïf, parfois geignard, mais toujours touchant. Le grand (très grand, il domine tout le monde d’une ou deux têtes, rendez-vous compte !) Jean-Fernand Setti, grimé en espèce d’ogre adorable et un peu gauche, épris d’une pittoresque Jacinthe (Marie Lenormand). Et surtout, Angèle en cygne noir, fuyante et mystérieuse. 

Brigitte de San Lucar (Victoire Bunel), Comte Juliano (Léo Vermot-Desroches), Angèle de Olivarès (Anne-Catherine Gillet) © Stefan Brion

Ensuite, imaginez un cadre fou, à la croisée des arts, défilé de mode des plus absurdes, entre sound design, marionnettes à taille humaine, danse, théâtre, chant virtuose, musique, et décors grandioses. 

Saupoudrez de quelques costumes disséminés çà-et-là dans l’équipe d’accueil, une touche de maquillage, quelques boules à facettes, et vous y êtes.

Vous voilà face à ce grand carnaval des contes, triptyque opératique, scindé en trois actes, aristocratique d’abord, familier ensuite, et finalement religieux. 

Musicalement, c’est Auber : c’est simple, efficace, ce n’est pas dans la recherche du flamboyant, ni dans l’extrême émotion. Sa partition est au service de l’intrigue, et le livret d’Eugène Scribe épouse cette volonté. Il a d’ailleurs intégralement échappé à la censure, fait rare pour l’époque. Louis Langrée dirige élégamment l’Orchestre de chambre de Paris, tout en souplesse et réactivité. Du Chœur Les éléments, il convient de saluer la diction exemplaire, rendant superflue toute attention au surtitrage.

Le service d’accueil de l’Opéra Comique (© Arthur Rigal)

Les solistes reflètent d’ailleurs cette excellence avec un habile équilibre entre théâtre et chant, parfaitement mesuré. Ils s’improvisent danseurs, comédiens, chanteurs, et le tout fonctionne à merveille. Qu’il s’agisse du timbre éternellement jeune de Cyrille Dubois, de la virtuosité des vocalises d’Anne-Catherine Gillet ou de l’impressionnante voix de basse de Jean-Fernand Setti, chaque intervention est juste, dans son style. Mention spéciale également à Laurent Montel et Sylvia Bergé, comédiens de formation inventés chanteurs à cette occasion !

Les deux metteurs en scène, Valérie Lesort et Christian Hecq, profitent de ce casting de premier plan pour agrémenter le livret de géniaux clins d’œil, pour le moins hauts en couleurs.

Première facétie d’ailleurs, dès l’ouverture. Mais avant, brève leçon de français, pour plus de clarté : 

Domino, nom masculin :  
A.− Costume porté lors des bals masqués, composé d’une longue robe ample avec capuche.
B.− Mantelet noir porté par les moines en hiver.
C.− Pièce allongée et plate, souvent en os ou ivoire blanc, en deux parties égales portant des points gravés, allant du blanc au six.

Erreur de lecture commune donc, puisqu’il ne s’agit pas ici du jeu de stratégie, mais bien de la fameuse cape, utilisée par Angèle pour camoufler son identité. Et le tandem à la mise en scène s’en amuse, puisqu’au moment du lever de rideau, cinq dominos (en ivoire !) traversent le plateau, clopin-clopant, suscitant les premiers rires de la soirée. Bienvenue dans un fever dream à la française !

Angèle de Olivarès (Anne-Catherine Gillet), Horace de Massarena (Cyrille Dubois), chœur Les éléments © Stefan Brion
Folie, amour et marionnettes 

Dominique Bataille s’autorise une réécriture techno de quelques pages du compositeur, propose une drôle de contredanse harpe-tambourin, et tout de suite, c’est soirée disco. Comme artifice phare : six danseurs, présents sur la quasi-totalité du spectacle, tantôt sous cape, tantôt en plâtre, figures de l’absurde à chaque instant de cet opéra. 

“La folle journée de Figaro” devient “folle nuit d’Angèle”, presque “folle journée de Ferris Bueller”, dans la veine du héros turbulent qui fuit ses responsabilités pour découvrir la vie. C’est pétillant, c’est moderne, bref, on adore.

Et pourtant, notre Angèle qui voulait simplement s’amuser un peu se retrouve catapultée dans un monde de fous, confrontée à l’absurde, au paradoxe, au bizarre. Tiens, ça nous rappelle Alice. Lewis Carroll n’a qu’à bien se tenir…

Elle rencontre bien vite son Lapin Blanc ”en retard, toujours en retard”, en la personne d’Horace, courant après le temps, le temps de la belle Angèle, alors que la nuit avance. Ah ! Cendrillon à nouveau ! Voilà qu’elle disparaît !

Pastiche iconique de l’univers des Monty Python, c’est un véritable théâtre de marionnettes qui se joue face à nous : Un cochon pas si braisé, des gargouilles pas si figées. On ne sait que croire dans ce récit halluciné… On trouve même une espèce de Chat du Cheshire, dans le personnage de Juliano, seul être (presque) sain d’esprit de cette curieuse farandole. 

Carnaval des contes, mais surtout carnaval des animaux, d’ailleurs, quand résonne L’Aquarium (Camille Saint-Saëns, 1886). La ménagerie fantasque danse une brasse hors de l’eau alors qu’Horace songe à sa belle inconnue.  Absurde vous disiez ? C’est d’ailleurs de ce même Aquarium que s’est inspiré Alan Menken pour composer son Prologue à La Belle et la Bête en 1992. Pas le même mythe, mais dans l’idée on y est !

© Stefan Brion

En guise de thé chez le Chapelier Fou, le dîner chez Madame Jacinthe, sous le regard des fêtards libidineux, et enfin, le retour au couvent, à l’heure des matines, pour un troisième acte éclair, presque sage.

Plus sensibles que dans les deux actes précédents, Cyrille Dubois et Anne-Catherine Gillet interprètent un dernier duo remarquable, dépourvu enfin de tout artifice fantasque. Brève parenthèse dans tout ce chaos, laissant entrevoir un heureux dénouement.

Peut-être Angèle a-t-elle enfin eu besoin de remettre l’église au milieu du village, ou au moins sur la tête de Madame Ursule, mégère de l’abbaye. En tous cas, c’est cette même Ursule, qui finalement prend le voile à la place d’Angèle, la laissant ainsi rejoindre son cher Horace. 

Dénouement donc effectivement heureux, pour Horace, l’Orphée à la recherche de son Eurydice qui, après cette course effrénée, a finalement daigné se retourner.

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