ANNIVERSAIRE – Le Centre culturel Flagey présente trois jours de festivités avec « Aimez-vous Schönberg ? », en célébration des 150 ans de la naissance du compositeur. En clôture de festival, Le Pierrot Lunaire, sous la direction de Kazushi Ono amorce une ascension fulgurante vers la surface de l’astre, en 21 poèmes décadents et mystérieux. Deuxième astre présent sur scène, la mezzosoprano Allison Cook s’offre en comtesse lunaire aux pieds nus.
Pierrot Lunaire : késako ?

Cet ensemble de 21 mélodrames extraits d’un recueil de poèmes signé par le poète belge Albert Giraud (1884) fut commandé à Schönberg par Albertine Zehme, figure emblématique des cabarets berlinois.
Inscrit dans une esthétique de Sprechgesang –ce « parlé-chanté » bien typique– Pierrot Lunaire marie à la poésie un modernisme souvent perçu comme intimidant par le grand public. Schönberg y déploie des formes radicales et archaïques avec une remarquable efficacité narrative et une sensibilité de peintre. Entre théâtre et musique expérimentale, la singularité de Pierrot Lunaire s’accorde aux bouleversements de la révolution picturale de 1912, une époque où l’art visuel traverse de profondes mutations.
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Estampe berlinoise
Des mouvements comme le dadaïsme, le Blaue Reiter (Cavalier bleu) auquel Schönberg lui-même participe, témoignent de cette effervescence artistique. Autodidacte et peintre prolifique (il réalise plus de 300 œuvres entre 1908 et 1912), Schönberg s’inscrit pleinement dans la frénésie créative du « Berlin des années d’or » ou Berlin babylonien, avant d’être contraint à l’exil par le régime Nazi. Très proche de l’image, la composition pourrait s’apparenter aux haïku, très mathématiques qui reposent sur une composition de trois lignes ou vers.
le voleur
Haïku au thème lunaire de Ryokan (1758-1831)
a tout pris sauf
la lune à la fenêtre
Dans le Pierrot Lunaire, on retrouve quelque chose qui s’en rapproche. Le Mondestrunken (Ivre de Lune) :
Le vin que l’on boit par les yeux
A flots verts de la Lune coule,
Et submerge comme une houle
Les horizons silencieux.
Pourrait-on faire le lien entre la finesse japonaise et maîtrisée de Kazushi Ono et celle du Haïku ? Rapide, efficace et mystérieux, Le Pierrot Lunaire trouve dans le chef de l’Orchestre Philharmonique de Bruxelles une élévation certaine. Fort d’une très grande efficience musicale, il tient à la baguette un corps instrumental organique, lié à la voix de la mezzo-soprano Allison Cook. Tenue nus pieds, une cascade de plis de robe couleur nuit porte la chanteuse. Appuyée et ancrée, la voix est à l’image de l’allure : certaine, piquée, vive. Les poèmes sont délivrés sans narration, comme jetés et déposés sur l’image mentale du public. Surréaliste, dadaïste, la chanteuse américaine est en accord total avec l’orchestre qui laisse l’effet Schönberg agir…
Pour qui voudrait se plonger dans la genèse de la dodécaphonie de Schönberg, le film documentaire de Larry Weinstein, My Wars Years (1993) se focalise sur 15 ans de création, de 1906 à 1923 :
Pierrot lunaire de Schönberg relève de l’atonalisme libre, non du dodécaphonisme sériel.