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Estelle Meyer : « La voix est comme la chevelure de l’âme »

ENTRETIEN – Estelle Meyer, artiste polyvalente, connue du grand public pour son rôle remarqué dans la série à succès « Dix pour cent », brille actuellement sur la scène du Théâtre du Palais-Royal dans le rôle iconique de Sarah Bernhardt. Elle a ébloui la critique et les spectateurs par sa performance qui a récolté des éloges unanimes. Mais au-delà de sa carrière théâtrale, c’est dans la chanson qu’Estelle trouve son expression la plus personnelle. Auteure-compositrice-interprète, elle crée un univers musical unique, mêlant poésie puissante et originalité sonore. Rencontre avec une personnalité lumineuse qui nous a ouvert les portes, partageant avec enthousiasme sa passion pour la musique et le théâtre, qu’elle décrit comme les « deux mains de son corps artistique ». 


Vous êtes comédienne ET chanteuse. Alors, qui de l’œuf ou de la poule dans votre vie ?

Mon enfance était très fertile artistiquement parlant. Nous étions quatre enfants, et je me souviens de nos Noël en Alsace, où nous apprenions des chants traditionnels à plusieurs voix. Notre rapport à la musique était goulu et généreux : j’ai étudié moi-même le piano pendant 15 ans ! Pour autant, comme la musique était déjà le domaine de ma mère, j’ai cherché mon propre espace d’expression, et comme j’ai toujours eu un amour profond pour les mots, tenant des cahiers pour trouver les termes précis exprimant chacune de mes émotions, je me suis tournée vers le théâtre à l’âge de 6 ans. Ce territoire vierge dans ma famille est devenu ma passion, et je n’ai jamais cessé de le pratiquer jusqu’à en faire mon métier. Néanmoins, le chant a toujours été présent. Je considère le théâtre et le chant comme les deux mains de mon corps artistique, avec les mots et la poésie comme branches de mon arbre créatif.

© Alessandro Clemenza

Ma formation vocale s’est approfondie au conservatoire, où j’ai rencontré ma professeure de chant Sylvie Deguy et un professeur argentin Osvaldo Calo qui m’a initiée à un répertoire varié : chants gitans, tango, flamenco, fado. Ma voix, naturellement voilée et assez particulière, loin de la perfection d’une voix classique a trouvé son identité dans ces styles où elle pouvait s’exprimer et être elle-même. Ça a été une révélation qui m’a donné confiance pour me lancer en tant que chanteuse. Ma première expérience de chant sur scène, qui m’a été donnée par une amie du conservatoire qui montait ses spectacles, a été bouleversante : une véritable révélation. J’ai ressenti une vulnérabilité qui m’a permis de m’exprimer d’une manière unique. Pour moi, la voix est comme la chevelure de l’âme, capable de toucher les cœurs au-delà des mots. Quand tu écoutes un chant dans une autre langue que tu ne comprends pas, tu peux quand-même pleurer car tu as accès à l’huile essentielle de l’être humain. 

Dans Classykêo il y a « classique » : la musique classique fait partie de votre vie ?

Elle a toujours fait partie intégrante de ma vie. Ma mère est une soprane lyrique spécialisée dans le répertoire sacré et mon grand-père était un violoniste classique. J’ai grandi dans un environnement où la musique était omniprésente, et dès mon plus jeune âge, je chantais avec ma mère, qui a également une formation de rythmicienne à l’Institut Jaques-Dalcroze de Genève.

Vous êtes interprète, autrice, compositrice : est-ce que vous écrivez et composez toutes vos chansons ? D’où tirez-vous l’inspiration, et quelle est votre méthode ?

J’ai commencé progressivement grâce à un copain qui voulait que je chante avec lui et qui m’a présenté son guitariste. Petit à petit, j’ai pris le courage d’écrire mes propres chansons car j’étais pétrie de mots. Je suis constamment en train de créer, enregistrant des paroles sur mon dictaphone – j’ai plus de 600 vocaux ! Je chante tout le temps pour prier, pour me guérir, pour célébrer. Mon inspiration vient de partout : j’utilise parfois un tambour chamanique, qui ajoute une dimension spirituelle à ma musique, et dont le son et la vibration me font du bien. Je chante lors de cérémonies diverses : rituels de femmes, mariages, rites de passage etc. J’ai même eu l’opportunité de chanter lors de rites d’initiation au Mexique, comme la danse de la lune. Le chant est devenu pour moi un moyen d’expression total, une façon de donner et de partager. On me sollicite souvent pour chanter, comme si ma voix était un cadeau que je pouvais offrir aux autres.

Pourquoi avoir choisi de mettre en musique la vie de Sarah Bernhardt, une actrice qui ne chantait pas ? Et comment avez-vous eu l’idée que la musique pourrait relier les différents moments de sa vie ?

La décision de raconter la vie de Sarah Bernhardt en musique, bien qu’elle ne fût pas chanteuse, est née d’une brillante intuition de Géraldine Martineau, la metteuse en scène. Elle m’a proposé d’intégrer le chant dans le spectacle, ce qui s’est avéré être une idée remarquable. Sarah Bernhardt était souvent décrite comme ayant une voix de chamane, une voix en transe. Pour certains, cette voix pouvait paraître inaudible, envoûtante, voire grandiloquente, avec une diction particulière et des phrasés caractéristiques de son époque. Le chant est devenu un moyen de transmettre cette transe, cette parole singulière caractéristique de cette époque. 

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Ma propre voix a toujours été remarquée (qu’on l’aime ou qu’on ne l’aime pas), comme ayant une signature particulière, une identité vocale distinctive. Sarah aussi avait aussi une voix particulière, qu’on qualifiait de « voix d’or ». Cette similitude est probablement l’une des raisons pour lesquelles Géraldine m’a choisie pour incarner Sarah. Elle recherchait quelqu’un avec un rapport précieux ou singulier à la voix.

© Fabienne Rappeneau

Pour moi, le chant est devenu une manière de m’approprier le personnage de Sarah, de réfléchir à ce qu’elle aurait pu chanter. C’était aussi un processus intime qui m’a donné du courage et de l’inspiration pour composer des chansons pour ce personnage. J’ai créé toutes les mélodies et les paroles, tandis qu’un compositeur s’est chargé de la musique instrumentale pour la scène. 

Avant d’interpréter ce rôle, je ne connaissais pas Sarah Bernhardt en profondeur. J’avais lu sa biographie au conservatoire, mais c’est en jouant ce spectacle que j’ai découvert de nombreuses anecdotes. Un soir, treize de ses descendants sont même venus assister à la représentation. Chacun d’eux la connaissait, mais avec une sensibilité unique et un lien personnel à son histoire. J’ai été profondément émue que mon travail ait pu les toucher et leur plaire, car il résonnait avec leur propre relation intime à Sarah.

Votre prochaine actualité musicale et théâtrale ? 
© Emmanuelle Jacobson Roques

Je termine Sarah Bernhardt le 31 janvier. Ensuite, du 4 au 14 février, je jouerai mon propre spectacle « Niquer la fatalité » au Théâtre 13. Je serai accompagnée d’un musicien et d’un batteur issus du jazz classique. Ce spectacle est un dialogue avec la figure de Gisèle Halimi, abordant la question de la prédestination, particulièrement quand on naît femme. Il explore comment inventer une vie libre, surtout après avoir vécu des violences sexuelles. Nous nous interrogeons sur les processus de guérison, les rituels à inventer, et les chemins à emprunter pour transformer ces expériences en une grande célébration réparatrice pour les femmes et les hommes. La musique y occupe une place importante, tout comme la notion de communion, un thème récurrent dans mes spectacles. Je m’interroge : qu’est-ce que la communion aujourd’hui ? Comment s’adresser au public et créer ensemble des cérémonies païennes, libératrices, lumineuses et joyeuses ? Après cette série de représentations, nous partirons en tournée pour une trentaine de dates.

Parallèlement, je vais tourner ce mois-ci dans Nino, un film réalisé par Pauline Loquès. C’est une œuvre magnifique qui suit un jeune homme de vingt ans apprenant qu’il a un cancer et s’apprêtant à commencer une chimiothérapie. Le film raconte ses trois jours d’errance dans Paris, au cours desquels il rencontre de nombreuses femmes.

Qu’est-ce qui a changé pour vous après le succès de « Dix pour cent » ? Quels souvenirs gardez-vous du tournage de cette série ?

Ce projet est le plus grand public auquel j’ai participé jusqu’à présent, et j’ai adoré l’expérience ! Ma scène de casting était celle en espagnol dans le métro, et je me suis vraiment amusée. Ça m’a rappelé mon adolescence, quand tout le monde me disait que j’avais une tête à tourner avec Almodóvar, avec mon côté un peu « cinglée ». C’était comme un clin d’œil de la vie à cette jeune femme que j’étais. Ce qui est amusant, c’est qu’avant ce projet, j’avais tourné dans le film de Nicolas Maury (Hervé André-Jezak dans la série), « Garçon chiffon », et nous avions failli jouer ensemble au théâtre. C’était comme si les astres s’alignaient pour que nous puissions enfin collaborer. L’expérience était vraiment joyeuse, piquante et drôle.

J’avais des tenues magnifiques et des partenaires en or. C’était très valorisant de faire partie de cette belle série. C’est amusant de participer à quelque chose de si populaire, alors que je travaille dans ce métier depuis mes 20 ans. Cela a permis à beaucoup plus de gens de découvrir mon travail. Maintenant, on me reconnaît dans la rue ou on m’en parle. Je trouve ça drôle de voir comment ça a changé la perception du public à mon égard. Cette exposition a également eu un impact sur ma carrière : avant, je ne faisais qu’un ou deux tournages par an, maintenant j’en fais quatre ou cinq. Je participe à des projets variés : des séries, des films d’auteur ou des productions plus grand public. J’apprécie beaucoup cette diversité dans mon travail.

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