BALLET – À l’Opéra Royal de Wallonie-Liège, une étoile familière monte sur scène. Barbie ? Non, mais presque : Giselle ! Ballet romantique par excellence, la partition d’Adolphe Adam est sublimée dans la chorégraphie de Carla Fracci par le ballet de l’Opéra de Rome.
Giselle danseuse étoile
Entre Giselle à l’Opéra Royal et Barbie danseuse étoile, le grand écart paraît évident. D’un côté, Rebecca Bianchi, dans son fameux corset bleu, sur une chorégraphie de Carla Fracci, réglée comme du papier à musique. De l’autre, Barbie, son sens de la justice, et ses chaussons magiques qui s’emballent pour un rien.
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Et pourtant, un petit tour à Liège nous donnerait presque envie de remettre les pointes sur les « i ». Parce qu’au fond, même si on préfère rester fidèles à l’esprit romantique, il faut l’avouer : Giselle et Barbie sont, chacune à leur manière, des icônes de leur temps. Seulement, l’une parle de nos fantômes, l’autre de nos rêves …
Giselle, barbie gothique
Barbie danseuse étoile ne s’aventure jamais au-delà du premier acte de Giselle. Pas de Wilis, pas de vengeance spectrale. Mais la magie opère autrement : les chaussons transportent Barbie dans des mondes où elle peut réinventer son propre style. L’une danse pour sauver son âme, l’autre pour affirmer qu’elle peut tout être. Mais, soyons clairs, Giselle a quand même un côté plus dark. Pas de rose bonbon ici : bienvenue dans le gothique romantique, où chaque arabesque pourrait tuer (littéralement).
Giselle danse pour exalter la félicité de son union à venir, avec un jeune inconnu, du nom d’Albrecht. Chez Barbie, l’histoire aurait pu s’arrêter là. Mais c’était sans compter la jalousie d’Hilarion, incarné par un rebondissant Claudio Cocino.
Rebecca Bianchi et Michele Satriano semblent parfaitement accordés, la délicatesse de l’une complétant la puissance de l’autre. Quel beau couple ! N’est-ce pas ? …
Non non non ! Contrairement au monde de paillettes dans lequel vit Christine (oui oui, Barbie s’appelle Christine dans le film Barbie : Rêve de danseuse étoile), ici, Albrecht n’hésite pas à se jouer de sa prétendante, la tuant de chagrin. Alors, dans les décors et costumes cultes d’Anna Anni apparaissent les Wilis, personnifications de ces chagrins, menées par Alessandra Amato en sobre Myrtha. Des couleurs chaudes et accueillantes des costumes et décors du premier acte, nous retrouvons le fameux “acte blanc”, et sa scénographie austère, contemplative. Quittons la forêt magique, et bienvenue en outre-tombe…
Sororité ou thérapie de groupe ?
Sur scène, les Wilis (jeunes femmes mortes avant leurs noces) flottent avec une fluidité fantomatique, portées par le corps de ballet de l’Opéra de Rome. Leur danse hypnotique, toute en arabesques synchronisées, semble dire : « T’as brisé mon cœur, alors je te brise les jambes. » Mais soyons honnêtes, elles ne sont pas seulement là pour punir. Leur chorégraphie est une métaphore de nos douleurs collectives : les rêves brisés, les promesses non tenues, et ce fameux patriarcat qui, même en tutu, continue de peser lourd. Sous la baguette d’Alessandro Cadario, les cordes de l’Orchestre de l’Opéra Royal de Wallonie-Liège valsent avec les Wilis, renforçant encore cette image de flottement, masse de corps damnés tout de blanc vêtus.
Leur unité évoque une sororité silencieuse, à la façon d’un club de soutien post-rupture. Et on est en plein dans Barbie là, non ? La solidarité féminine pour surmonter les épreuves, c’est son fonds de commerce depuis les années 60. Sauf que chez Barbie, on finit souvent avec un happy end en paillettes. Chez les Wilis ? Pas sûr qu’elles aient reçu le mémo. Magnanime, Giselle choisit tout de même d’épargner Albrecht, ce gars un peu trop doué pour les serments bidons. L’amour triomphe toujours, paraît-il …
© J. Berger / ORW-Liège