DISQUE – Alain Altinoglu publie chez Alpha-Classics avec son Orchestre symphonique de la Radio de Francfort une version fascinante de la Tragédie de Salomé de Florent Schmitt dans sa version d’origine avec en complément le Chant Elégiaque de ce même compositeur.
D’abord destinée à accompagner un mimodrame de Robert d’Humières La Tragédie de Salomé, poème symphonique de Florent Schmitt illustre la sulfureuse histoire de Salomé, si souvent portée en musique. Schmitt avait parcouru le Maroc et la Turquie. Il gardait de fait des affinités avec le monde oriental qui imprègne pour une bonne part la partition de ce drame muet en 2 actes et 7 tableaux dédié à Stravinsky, qui triomphera au Palais Garnier en 1919 sous l’égide de Serge de Diaghilev, avec l’extravagante Ida Rubinstein dans le rôle-titre. Au-delà de la danse charnelle élaborée par Loïe Fuller, c’est bien tout un monde de luxure et de volupté qui se révèle. Les 7 premiers tableaux, avec ce long prélude sombre et rempli de mystère, expose au fur et à mesure les thèmes attachés à chaque protagoniste, avec notamment l’intervention des trombones à l’entrée de Jean le Baptiste. Les épisodes chorégraphiques (Danse des perles, des Serpents, du Paon…) se succèdent ensuite pour souligner les différentes facettes de la personnalité de superbe Princesse Salomé.

Tentatrice, coquette, mais aussi fière de son illustre lignée royale, orgueilleuse et exigeante, puis sensuelle et maléfique, Salomé occupe presque en permanence toute la scène, laissant une place assez réduite aux autres intervenants, ce jusqu’au paroxysme et au cataclysme final où tout se trouve irrémédiablement balayé. Musique descriptive et sensuelle, orientale d’inspiration certes mais canalisée et sans clinquant inutile, la partition de Florent Schmitt recèle des couleurs chatoyantes et irisées, d’une richesse harmonique rare et souvent audacieuse.
À la tête de son Orchestre symphonique de Francfort, Alain Altinoglu a sensiblement renforcé ses effectifs (20 musiciens lors de la création de 1907 du fait de l’exiguïté de la salle), pour insuffler une énergie communicative et une dynamique à fleur de peau à cette musique enchantée. Sa lecture vient rebattre les cartes des enregistrements contemporains (ils ne sont pas si nombreux pourtant, les plus récents par Yannick Nézet-Séguin ou Julien Masmondet) de cette Tragédie de Salomé hélas si peu servie tant au concert qu’au plan chorégraphique. La soprano canadienne Ambur Braid superpose sa voix aérienne et sur quelques instants ciblée de la partition. Alain Altinoglu a souhaité compléter le programme avec l’enregistrement d’une pièce courte de Florent Schmitt pour orchestre et violoncelle, Chant élégiaque datée de 1899 mais orchestrée en 1903. Philipp Staemmler fait vibrer son violoncelle dans les moindres interstices de la musique avec toute la plénitude requise. Voilà un enregistrement magnifique qui n’est pas prêt de quitter nos mémoires…
Pourquoi on aime ?
- Pour la rareté d’une œuvre magnifique, qui nous fait remettre en question le défilé des chefs-d’œuvre enregistrés à la pelle
- Pour la musique de Florent Schmitt, sombre et envoûtante
- Pour sa lecture par Alain Altinoglu, qui parle fort la musique depuis le perchoir de son orchestre symphonique de Francfort