CONCERT – La saison musicale des Grands Interprètes à Toulouse proposait ce lundi 10 février à la Halle aux Grains un concert chapeauté par Evgeny Kissin autour de trois sonates de Dimitri Chostakovitch, avec Gidon Kremer au violon, Maxim Rysanov à l’alto et Gautier Capuçon au violoncelle.
L’un des plus grand compositeurs du XXè siècle, Chostakovitch est aussi l’un des plus controversé, surtout dans ses rapports à l’URSS, entre adulation et censure. La complexité de sa vie et de ses idées se retrouve dans ses œuvres, extrêmement contrastées les unes par rapport aux autres selon la période, l’usage qu’il devait en faire, et son humeur du moment !
Hommage en trois parties
Cette année marque le 50ème anniversaire de sa mort, et le pianiste Evgeny Kissin se lance dans « un important cycle de musique de chambre en hommage au compositeur », dont ce concert fait partie. 3 sonates pour piano et, dans l’ordre : violoncelle (Opus 40), violon (Opus 134) et pour finir, alto (Opus 147), avec des solistes de haut vol !

Chostakovitch divise autant les opinions des spécialistes sur son engagement dans le parti communiste que celles des publics non avertis sur sa musique: et pour cause ! On ne peut jamais savoir à quoi s’attendre, quand découvre une de ses pièces, qui peuvent varier du tout au tout en terme de langage musical et de facilité d’écoute.
Chostakovitch : dramaturgie de l’imprévisible
Les trois sonates présentées offrent un panel assez large de son œuvre : La sonate pour violoncelle, datant de 1934 est la plus accessible – quoi que riche en contrastes – avec de grandes envolées lyrique et une utilisation marquée de mélodie plus « classiques » et populaires. Celle pour violon (1969) correspond à une période plus difficile de sa vie, et outre son utilisation du dodécaphonisme, elle est moins parsemée de traits d’humour et de moments de légèreté (relative) que les deux autres. La sonate pour Alto est sa dernière œuvre connue : 1975 ou un an avant sa mort, dans un autre style encore, parfois atonal, terriblement contrasté et envoûtant, laissant par exemple de longs moments solo à l’alto avant de repartir sur des duos endiablés, avec de nombreuses citations comme le compositeur aimait en faire.
Toutes se rejoignent dans la richesse du langage et des textures : les deux instruments sont utilisés à leur plein potentiel. Le piano joue dans les contrastes sur toute sa tessiture et sur son côté percussif ; pour les cordes, jeu en harmoniques, utilisation de la sourdine, mélodies en pizzicato voire carrément accords au doigts, martelés comme sur une cithare populaire… une surprise potentielle à chaque changement de mesure !
Chaque sonate demande à ses interprètes une virtuosité et un grand sens des nuances et de la dramaturgie. Ça tombe bien, c’est la saison !
L’expressivité des Grands Interprètes :
Ce sont des interprètes d’exception qui se succèdent aux côté d’Evgeny Kissin, non moins exceptionnel. Virtuoses aux personnalités forte, les voir s’emparer d’une partition complexe fait déjà une grande partie du spectacle et du spectaculaire.
- Evgeny Kissin est un maître de longue date (déjà internationalement reconnu comme enfant prodige dans les années 80), maîtrise qu’il démontre là encore, dans la présence et la richesse du son qu’il dégage du Steinway. Habité par la musique, on le voit chantonner certaines lignes, bouger la tête d’expressivité, et quelques recalage de lunette éclair (lever une main du piano sur du Chostakovitch, faut le faire !)
- Gautier Capuçon laisse éclater son panache habituel sur les passages virtuose (les envolées lyriques correspondent aussi à de belles envolées de frange), et fait ressortir de son instrument une grande sensibilité, des moments remplis de feu, d’autres de grande tendresse, avec des graves et médiums chaleureux et des aigus d’une grande finesse.
- Maxim Rysanov, vêtu d’une sorte de cape de concert très « classe » et tout à fait originale, brille lui aussi d’une richesse de son et de jeu, il fait montre d’une énergie envoûtante, incarnant la musique avec son corps, stable sur ses appuis, fluide dans ses larges mouvements, cultivant les plus grands écarts de nuances, de pianissimi tendres et fragiles aux fortissimi flamboyantssi caractéristiques.
- Gidon Kremer, à 77 ans et fort de la richesse d’une prestigieuse carrière, aborde avec maîtrise une partition complexe quoi que jouant avec plus de réserve que ses compagnons. Il défend une partition plus sombre, en prêtant les douces sonorités de son violon Amati (1641 !) à cette musique très moderne.
À lire également : Evgeny Kissin à Flagey : les montagnes russes
Hommage à succès :
Cette étape française de la tournée « Hommage » de Evgeny Kissin (qui inclut une pièce du compositeur dans chacun de ses prochains concerts, ainsi qu’une formation en quintette qui lui est exclusivement dédiée) est un succès indéniable. Succès certainement autant dû à la richesse de la musique de Chostakovitch qu’au talent et à la renommée des quatre Grands Interprètes. Et le public ne s’y trompe pas !

