OPÉRA – À seulement quelques jours du pot de départ de Dominique Meyer, Les Walkyries punk débarquent à La Scala de Milan en chevaux/centaures dans une production d’un chevalier et cavalier britannique, sir David McVicar, avec une distribution stellaire menée par Camilla Nylund, Elza van den Heever, Klaus Florian Vogt, Michael Volle ou encore Günther Groissböck.
Panne de système ?
Après avoir découvert tous les risques d’investissements en or (du Rhin) à Bastille, avec des chanteurs en panne et le directeur en panique, une mise en scène (dé)connectée où Alberich pète un câble et Wotan sa voix, à Milan, ce sont les sous-titres qui font grève une bonne partie du premier acte de La Walkyrie, apparemment en accord avec le syndicat des chevaux des guerrières walkyries (danseurs chaussant des prothèses sportives), qui sautent et tombent dans un désaccord général. Les productions parisienne et milanaise sont-elles victimes d’une sorcellerie ? Depuis le Covid et le départ de Stéphane Lissner, la tétralogie parisienne a été annulée, décalée, enregistrée, changée de distribution et de chef, et finalement représentée cinq ans plus tard dans une mise en scène en or (crypto), pleine de défauts.

À la Scala, Dominique Meyer a finalement pu programmer sa première tétralogie (à Vienne, il ne faisait que reprendre l’ancienne production), mais le décret de Meloni l’a poussé prématurément vers la porte de sortie, ne laissant que deux volets de L’Anneau à son actif. Le dernier directeur ayant programmé la tétralogie à Milan fut un Français, parti ensuite pour Paris. Devinez qui…
Panne d’inspiration ?
David McVicar, quant à lui, semble être en panne d’inspiration. Panne de lumière aussi, peut-être, avec un plateau baignant dans l’obscurité qui, vu la durée du spectacle, renforce l’effet somnolent. Les décors sont gorgés de symboles, avec des idées certes fidèles au livret et quelque peu originales, mais certains concepts souffrent de dysfonctionnements et d’incompréhensions.
Le traditionnalisme des costumes et des décors se heurte à un modernisme tout à fait partiel, qui tourne au grotesque au début du troisième acte, avec une foule de chanteuses et des chevaux/centaures humanoïdes connectés qui tournent en rond, entrent en collision et tombent sur scène dans un chaos incontrôlé. Ce galop des Walkyries atteint son apothéose avec un rocher, en forme de main, caché à l’intérieur d’une gigantesque tête, où Brünnhilde sera immolée. Wotan fait ses adieux à sa fille, et Dominique Meyer à sa maison bien-aimée. Espérons que ce dernier n’ait pas l’âme d’un incendiaire.

Cuivres, un cousin encombrant
On a tous ce cousin qui transforme un repas de famille en one-man-show gênant. Ce soir, les cuivres, d’habitude en sous-régime, profitent de Wagner pour passer en mode « dominance sonore« , tandis que le chef Alexander Soddy, tel un père débordé, tente de gérer son orchestre comme une famille nombreuse… sauf que les enfants courent partout. Dans presque toutes les parties hautement dramatiques sollicitant les trompettes et les trombones, les cuivres imposent leur loi à tel point que l’on n’entend souvent qu’une ou deux lignes mélodiques, piétinant les autres, notamment dans le prélude du deuxième acte.
Les cordes impressionnent par un travail en filigrane, un son doux et lyrique qui encense l’espace scénique. Mais lorsque la Belle (cordes, vents, harpes) tente de charmer la Bête (cuivres déchaînés), le résultat est bancal : trop sage ou trop écrasant.
Elza, la reine des aigus
Imaginez une Elsa de Disney qui aurait binge-watché Game of Thrones : blonde, mariée à son frère et coiffée comme une guerrière punk-Cherokee. Pas la Reine des Neiges, mais assurément la reine des aigus ! Cette Elza (van den Heever) domine le plateau et son frère-amant avec un volume impérial et une justesse royale, même dans les sommets stratosphériques de sa tessiture, avec une émission bien vibrée mais stable et timbrée.
Brünnhilde, incarnée par Camilla Nylund, diva en armure et tricheuse de duels, balance des aigus plus tranchants que sa lance. Mais vers la fin, son vibrato part un peu en freestyle et subit une punition extrême façon Wotan : coupe de cheveux express et dodo forcé sur un rocher-main, avec option hibernation flamboyante. Ses sœurs Walkyries, punk-guerrières, déploient voix justes, harmonieuses et assurées, telle une armée sonore, mais Wotan, tout en colère divine, reste insensible à leur plaidoirie chantée.
Arrivée en grande pompe sur son char à béliers – Uber version Valhalla –, Fricka assène ses aigus perçants avec l’intensité d’une diva en pleine dispute conjugale. Mais en fin de soirée, essoufflée, elle se calme et nous offre quelques pépites chantées tout en finesse.
Hunding, grande gueule
Hunding, grande gueule et alpha de la soirée, joue au mâle dominant en marquant son territoire sur Sieglinde… Vêtu de peau de loup et traînant ses potes chasseurs, le baryton Günther Groissböck se distingue par un jeu convaincant et menaçant, ainsi qu’une technique vocale étrange : il ouvre “sa gueule” de côté pour une meilleure projection et plus de couleurs. Son émission est droite, son expression nuancée : un lion qui maîtrise son rugissement.

Siegmund (Klaus Florian Vogt), ce frère incestueux qui se la joue à la fois chevalier et chanteur, attaque ses airs avec force et justesse, gagne le cœur de sa sœur mais perd le duel contre son hôte – et avec lui toute la subtilité du phrasé. La dernière note du premier acte, quant à elle, semble lui échapper, comme un mauvais rêve. Son Winterstürme est plus tempête que lyrisme, mais la prosodie, elle, est sans accroc.
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Le Wotan de Michael Volle, avec son œil bleu meurtri, articule chaque note et chaque mot avec une précision méticuleuse, tel un général lisant ses ordres. Son timbre est doux et velouté, ses phrases colorées, mais sa rage finale a l’intensité d’un café tiède : efficace, mais pas électrisante.
Tiède paraît le public aussi, il applaudit les artistes avec plaisir, mais sans frénésie non plus, peut-être faisant deuil du directeur sortant et la fin d’une histoire d’amour.

