CONCERT – 80 ans après les bombardements qui ont détruit une grande partie de la capitale saxonne, la Dresdner Philharmonie et son chef, Donald Runnicles, commémorent l’événement avec le War Requiem de Benjamin Britten. Un concert placé sous le signe de la paix, dans un contexte néanmoins marqué par des tensions politiques.
Derrière le projet, sans doute y avait-il une bonne volonté humaine et artistique : celle de la réconciliation autour de la musique. Mais convoquer le souvenir des bombardements de Dresde en Allemagne, même 80 ans après les faits, ne peut se faire sans rouvrir une blessure. Ce passé interroge. Qui en sont les vrais responsables ? Peut-on parler d’un crime contre l’humanité, sans victimiser les instigateurs et perdants de la guerre, reconnus coupables par l’Histoire ?
Paix fragile ?
De tels questionnements avaient déjà agité le pays dix ans auparavant, lors de la commémoration des 70 ans du bombardement. Pourtant, la mémoire de ces évènements est plus clivante encore à la veille des élections fédérales, qui ont vu l’extrême droite allemande cumuler un score historique. Il convient de dire que la région de Dresde, comme une bonne partie de l’ex-RDA, leur était déjà acquise lors des élections de 2021. Cela n’empêche pas l’opposition de faire entendre sa voix en manifestant à la sortie du concert.

Cependant, ce concert était surtout pour les artistes, venus de divers pays, l’occasion de délivrer un message de paix, en honorant la mémoire des victimes –toutes les victimes– du deuxième conflit mondial. Une minute de silence a été observée à la fin du concert, conformément à la tradition des concerts commémoratifs de ce jour-là. Le prince Edward, Duc de Kent, invité d’honneur et représentant de la famille royale d’Angleterre, apporte sa contribution dans le programme, rappelant que ce War Requiem de Benjamin Britten a été créé pour l’inauguration de la nouvelle cathédrale de Coventry, détruite par les bombardements allemands, tout comme l’a été la Frauen-Kirche de Dresde par les bombardements anglais.

Great Britten
Le vaste auditorium du Kulturpalast de Dresde se prête à merveille à l’exécution de cette œuvre imposante. Quatre chœurs sont réunis : le Chœur philarmonique de Dresde, le chœur Tchèque de Brno, le Philharmonischer Kinderchor et le Kinderchor Radost de Prague. Ces deux derniers chantent « en coulisses » depuis le foyer du deuxième étage, comme indiqué dans la partition. Le Dresdner Philharmonie est réuni au grand complet, sous la baguette de Sir Donald Runnicles. Pourtant, rien de tonitruant, ni d’empesé. La part belle est faite aux harmonies complexes de Britten dans une atmosphère de recueillement. Les percussions se chargent de marteler les rythmes martiaux.
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Entre parties chorales en latin, constituant l’ordinaire de la messe du Requiem, s’interposent des parties solistes sur des poèmes de Wilfred Owen (1893-1918). Le ténor Thomas Atkins, le baryton Russel Braun et la soprano Sara Jakubiak s’y montrent particulièrement expressifs. À la fin du concert, Donald Runnicles rend hommage à un autre poète : l’allemand Gerrit Engelke (1890-1918) en récitant son poème Mensch zu Mensch alle, streckt die Hände (« Homme à homme, tous, levez les mains »). Un bel appel à la paix en ces temps troublés.

