CONCERT – Le pianiste Jean-François Heisser interprète avec éclat des pièces de Yan Maresz, Philippe Manoury et Manuel de Falla au One Monte-Carlo à l’occasion du Festival Printemps des arts.
Retour de l’enfant du pays
À l’heure où la création musicale et la musique écrite sont contestées par un nouveau conformisme amateur de concepts gadgets et musiques électro simplifiées, cette nouvelle édition du Printemps des arts de Monte-Carlo dirigé par le compositeur Bruno Mantovani rend hommage à Pierre Boulez à l’occasion du centenaire de sa naissance. Ici, il s’agit donc de mettre à l’honneur l’exploration de nouveaux langages musicaux comme a pu le faire le compositeur du Marteau sans maître.
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Ancien fer de lance de la recherche sonore de l’Ircam, institution fondée par Boulez, Yan Maresz (enfant du pays ayant passé sa jeunesse à Monaco où il découvrit le jazz et la musique classique) est un compositeur à la recherche de nouveaux agencements sonores tout en maîtrisant avec virtuosité l’orchestration. Mais ici dans sa pièce soliste Soli, il s’agit d’un duo entre le piano véloce de Jean-François Heisser distillant des jaillissements furtifs et une électronique diffusée par un haut-parleur multidirectionnel à vingt angles de projection sonore. Entre le piano fluide et les sonorités électroniques faites de sons de synthèse et d’éléments du clavier transformés en direct, s’engage un dialogue fertile creusant une profondeur par le milieu, des brèches s’ouvrant dans le discours musical dilatant temps et espace dans une saisissante poétique de la disparition.
Ombre double électronique
Les nouveaux langages musicaux allient ainsi l’acoustique et l’électronique : ce récital hommage à Boulez se conclut par l’une des plus belles pièces de Philippe Manoury qu’il nous a été donné d’entendre. Das Wohlpräparierte Klavier (« Le Clavier bien préparé », allusion au « Clavier bien tempéré » de Bach), sa troisième sonate pour piano, avait été créée à Berlin en 2021 par Daniel Barenboim à la Boulez Saal. Encore jamais jouée en France, interprétée ici à Monaco par son complice de longue date Jean-François Heisser, cette œuvre ambitieuse apparaît comme sa Hammerklavier, la profusion beethovenienne étant l’horizon visé et atteint par le compositeur qui fut le fils spirituel de Boulez. S’ouvrant par des cloches de synthèse et toute une nuée de nappes sonores, la pièce commence comme une fantaisie mais avec de surcroît des allusions au piano préparé de John Cage, sauf qu’ici les effets sonores proviennent de l’électronique et non de l’intérieur du piano comme chez l’iconoclaste américain. Philippe Manoury développe une très dense matière pianistique de forme sonate dans laquelle interagissent des sons électroniques tous très ciselés et prégnants. Se déploie ainsi un piano altier et virevoltant dont l’ardeur vivace et la sensualité sont amplifiées par tout un luxuriant dispositif électronique agissant en temps réel, ombre double du piano accentuant ses scintillements poétiques.
La modernité sera aussi passée par la musique espagnole, dont Jean-François Heisser est un grand spécialiste, avec le bref Pour le tombeau de Paul Dukas du moderniste du début du XXe siècle Manuel de Falla avant de s’attaquer à l’impressionnant chef-d’œuvre pianistique du compositeur ibérique, sa Fantaisie Bætica. Transposition ardue et fastueuse au piano des virtuosités expressives de la guitare flamenco, cette pièce en trois parties enchaînées se déploie dans de surprenantes combinaisons harmoniques. Jean-François Heisser en restitue souverainement toute sa prolixe grandeur tout en y infusant un substrat généreux tout en rondeur qui lui est propre.

