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Hoffman et Collard : à hauteur de l’Histoire

CONCERT – Grand moment dans la Saison Musicale des Invalides. Dans le grand Salon, c’est un bout d’Histoire qui se rejoue, avec un programme autour d’un moment fort du XXème siècle : les accords de Locarno, tentative d’installer une paix juste après la Première Guerre Mondiale. Pour ce programme, il fallait un duo à la hauteur de l’Histoire : Gary Hoffman et Jean-Philippe Collard.

Les Invalides : ce nom pourrait faire oublier une des facettes du vaste édifice : c’est un mausolée, un gigantesque monument aux morts. Sur le long parcours qui conduit au salon d’honneur, des dizaines de plaques qui rendent hommage aux soldats tombés au champ d’honneur nous le rappellent. 

L’esprit de Locarno

Le titre de ce concert : « l’Esprit de Locarno » aussi, car il évoque les années qui suivirent la première guerre mondiale. Dans toute l’Europe, nombre d’hommes politiques, de diplomates et d’intellectuels cherchèrent à fonder la sécurité des pays européens sur des bases plus saines que le funeste traité de Versailles. Notamment, les accords de Locarno, en 1925, valurent à Aristide Briand et Gustav Stresemann le prix Nobel de la paix. Ils semèrent des graines qui, après bien des tragédies, finirent par germer après 1945 avec la construction européenne et la réconciliation franco-allemande. Coïncidence voulue ou non, Locarno, l’excellent roman de Christine de Mazières (Ed. du Seuil), récit romancé très vivant de ce moment fondateur, est paru la même semaine.

© Bruno Ory-Lavollée

Sur scène, Jean-Philippe Collard au piano et Gary Hoffman au violoncelle, 146 ans au total à tous les deux, ont démontré que les duos vieillissent aussi bien que l’armagnac. Parfaitement accordé au lieu et au thème du concert, leur programme très cohérent confrontait trois œuvres de Gabriel Fauré (une pour chaque période de son évolution artistique) à Paul Hindemith et Claude Debussy. 

Fauré en trois temps

Porte d’entrée du concert, la grande courbe de l’Elégie, op.24 frappe d’emblée par sa force d’expression, par la beauté du son de Gary Hoffman et par l’homogénéité du duo. Jean-Philippe Collard s’exprime seul ensuite, avec le 6e Nocturne, le plus célèbre et le plus long des treize. Le jeu n’a peut-être pas la même fluidité que dans sa légendaire intégrale de 1973, mais sa domination du texte emporte et guide à la fois l’auditeur dans les méandres de l’extraordinaire parcours de cette œuvre. Elle prend alors le sens du récit de toute une vie.

Plat de résistance du concert, la 2e sonate pour piano et violoncelle, écrite en 1921, convoque les ombres de gloire qui peuplent les Invalides : son mouvement lent est la transcription d’un Chant funéraire pour orchestre d’harmonie écrit par Fauré en 1921 pour le centenaire de la mort de Napoléon, dont la création eut lieu dans la cour d’honneur, de l’autre côté des fenêtres du salon. C’est un chef d’œuvre, que le son chaud et noble du violoncelle et le piano orchestral rendent mémorable – tout comme le reste de l’interprétation de la sonate : chaque mesure s’insère dans une vue d’ensemble, l’architecture émerge toujours du foisonnement de l’écriture et la tension ne faiblit jamais. On sent une œuvre digérée, fréquentée et refréquentée depuis des lustres, comme en témoigne la partition de Hoffman qui semble proche de tomber en poussière. L’exécution s’achève dans un silence total, cet accord muet des émotions plus puissant que tous les tambours de guerre.

« On joue comme on est »

Vient la partie allemande, avec tout d’abord la Trauermusik (musique funèbre) d’Hindemith : présent à Londres pour la création de son concerto pour alto, il y apprend le 20 janvier 1936, peu avant minuit, le décès du roi George V. Le jour suivant, en quelques heures, il écrit en son hommage cette pièce jouée le lendemain par l’Orchestre Symphonique de la BBC. Si cette marche funèbre instaure le climat solennel et recueilli d’une telle circonstance, elle ne hante pas les mêmes sommets ni les mêmes abîmes que celle de Fauré. 

À lire également : Beethoven aux Invalides : c’est canon !

Gary Hoffman revient seul en scène et sans partition, pour la Sonate pour violoncelle seul, op. 25 n° 3 composée par Hindemith Donaueschingen, en Forêt-Noire, à l’été 1922, au moment où émergeait un festival de musique contemporaine dont il fut un des piliers. Cinq mouvements brefs, cinq climats, cinq messages philosophiques, cinq potions fortes. Gary Hoffman fait honneur à la formule « On joue comme on est » qui figure dans sa biographie : la musique parle, les silences sont lourds de sens, tout est nécessaire. Une leçon. 

Fin de l’innocence

Pour finir, tant de fois entendue mais ici profondément renouvelée, la Sonate pour violoncelle et piano de Debussy. Dans l’ombre portée des pièces précédentes, à l’opposé de Watteau, des fêtes galantes et du « Pierrot fâché avec la lune » qu’on associe souvent à cette sonate, c’est sa date de composition qui s’impose à l’esprit : 1915. Pierrot fuit sous les bombes. Il n’y a plus d’innocence, seulement des mystères inquiétants et des catastrophes annoncées. Tour à tour élégiaques, sarcastiques ou dramatiques, avec un parfait ensemble et une palette sonore qui paraît illimitée, le violoncelle et le piano deviennent deux serres qui vous empoignent le cœur. Ainsi finit une soirée de haute tenue où émotions fortes et transport esthétique allaient de concert. 

Demandez le programme !

  • G. Fauré – Élégie, opus 24, pour violoncelle et piano
  • G. Fauré – Nocturne no 6 en ré bémol majeur, pour piano
  • G. Fauré –  Sonate no 2 en sol mineur, opus 117, pour violoncelle et piano
  • P. Hindemith  Trauermusik, Suite pour violoncelle et piano
  • P. Hindemith  Sonate opus 25 no 3, pour violoncelle seul
  • C. Debussy – Sonate no 1 en  mineur, pour violoncelle et piano 
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